Une question qui divise

Le combat pour les droits des femmes est loin d’être mené par un groupe uniforme et uni sur toutes ses positions. Plusieurs sujets divisent et l’un des plus convergents est celui de la législation sur le travail du sexe. Un important mouvement féministe se dit « abolitionniste » dans le sens où il souhaite l’abolition pure et simple du travail du sexe dans son ensemble, au motif qu’il représente une violence à l’égard des femmes, la majorité des travailleur.se.s du sexe étant des femmes.

En réponse, les féministes non-abolitionnistes, divisées entre réglementaristes et légalistes, expliquent que les violences subies par les travailleur.se.s du sexe  ne sont pas inhérentes au travail du sexe, mais liées à leur situation précaire, clandestine et stigmatisée. Iels ne font évidemment référence qu’au travail du sexe effectué avec consentement. 

La question du travail du sexe est liée à la notion d’intersectionnalité. Cette théorie ne fait pas non plus consensus dans les mouvements féministes, ce qui est également une explication des divergences concernant la législation sur le travail du sexe. En effet, lorsqu’on regarde les profils des travailleur.se.s du sexe, on observe des formes multiples et croisées de discrimination et d’inégalités structurelles qui ont un impact sur leur vie et qui peuvent jouer un rôle dans leur décision d’entrer ou de rester dans ce milieu. Les personnes confrontées à des formes multiples de discrimination et d’inégalités structurelles, comme les femmes et les personnes discriminées en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur origine ethnique, etc., sont souvent surreprésentées dans le travail du sexe.

De quoi parle-t-on ?

L’ONG Amnesty International a publié en 2016 un rapport, « Position d’Amnesty International relative à l’obligation des États de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe », justifiant cette prise de position et faisant un certain nombre de recommandations aux États pour garantir le respects des droits des travailleur.se.s du sexe.

Amnesty International, dans son rapport, utilise différentes terminologies qui sont définies de manière très précise pour ne laisser aucune chance au malentendu ou à la mauvaise interprétation des déclarations. Tout d’abord, ce rapport insiste sur l’importance de la notion de consentement dans ce débat. Amnesty ne se limite pas à la prostitution (se limitant aux relations sexuelles), mais parle bien de « travail du sexe » et de « travailleur.se.s du sexe ». Amnesty définit le « travail du sexe » comme :

« L’échange de services sexuels (y compris de relations sexuelles) entre adultes consentants contre une forme de rémunération, selon des conditions convenues entre le vendeur et l’acheteur. Le travail du sexe peut prendre différentes formes et varier d’un pays ou d’une communauté à l’autre, ainsi qu’au sein de chaque pays ou communauté. Il peut être plus ou moins « structuré » ou organisé. »

Il n’est question de travailleur.se.s du sexe que pour décrire des adultes (18 ans et plus). Ce terme est celui utilisé par les titulaires de droits elleux-mêmes. 

Ensuite, il est primordial de faire la distinction entre travail du sexe et traite des êtres humains. La « traite des êtres humains » est définie par le Protocole des Nations unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000). Le Protocole des Nations Unies la définit comme étant constituée de trois éléments : 

« 1. un « acte », à savoir le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes ; 2. un « moyen » par lequel cet acte est accompli (le recours, ou la menace de recours, à la force ou à d’autres formes de contrainte, l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou encore l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre personne) ; 3. un « but » (de l’acte/du moyen employé), en l’occurrence, l’exploitation. »

La notion de consentement étant essentielle dans le travail du sexe, il ne peut absolument pas être comparé à la traite des êtres humains, y compris dans le secteur du sexe.

Enfin, concernant la législation, il est important de distinguer les différents termes qui peuvent être utilisés comme criminalisation, légalisation, décriminalisation, dépénalisation, etc. Tout d’abord, dans le cas du travail du sexe, la « criminalisation » est le processus d’interdiction du travail du sexe consenti. La criminalisation du travail du sexe consenti des adultes prend généralement trois formes différentes qui sont appliquées dans une variété de combinaisons à travers le monde. Ces formes peuvent être résumées ainsi : 

« les lois qui érigent en infraction pénale la vente de services sexuels par des adultes consentants (…) ; les lois qui érigent en infraction pénale l’organisation du travail du sexe exercé par des adultes consentants (…) ; les lois qui érigent en infraction pénale l’achat de services sexuels auprès d’adultes consentants, en vertu desquelles ce sont les clients qui sont sanctionnés. »

Amnesty définit la pénalisation comme « les lois, les politiques et les règlements administratifs qui ont la même intention ou le même effet que les lois pénales en termes de punition ou de contrôle des travailleuses et travailleurs du sexe, ou de restriction de leur autonomie, en raison de leur activité ». La dépénalisation est la suppression des sanctions pénales, dans lesquelles des amendes peuvent encore exister. La décriminalisation n’impose plus de sanction pénale à l’infraction, mais peut toujours entraîner une réaction de l’État. La légalisation, quant à elle, place des activités auparavant illégales sous le contrôle de la loi.

Pour une dépénalisation du travail du sexe

Dans son rapport, Amnesty International « appelle à la décriminalisation de tous les aspects du travail du sexe consenti par des adultes, en raison des obstacles prévisibles que la criminalisation crée à la réalisation des droits humains des travailleurs et travailleuses du sexe ». Pour protéger les droits des travailleur.se.s du sexe, il est nécessaire d’abroger non seulement les lois qui criminalisent la vente de services sexuels, mais aussi celles qui font de l’achat de services sexuels auprès d’adultes consentant.e.s ou de l’organisation du travail du sexe une infraction pénale. 

La principale motivation d’une telle position est que la protection des travailleur.se.s du sexe contre celleux qui cherchent à les exploiter et à leur nuire. Criminaliser le travail du sexe revient hypocritement à vouloir abolir la prostitution et le travail du sexe en les interdisant et porte ainsi atteinte à toute une série de droits humains des travailleur.se.s du sexe, comme le droit à la sécurité, au logement ou à la santé. 

Décriminaliser le travail du sexe, c’est protéger les personnes concernées. En effet, les lois qui criminalisent la prostitution et/ou le travail du sexe condamnent les travailleur.se.s du sexe à la clandestinité, les mettant en grand danger. Dans l’idée de protection, il y a bien sûr l’élément physique, pour garantir un droit à la sécurité, à des actes consentis, sans violence. Dans son rapport, Amnesty demande aux États de mettre en place une série de politiques de protection qui vont au-delà de la protection des travailleur.se.s du sexe contre le viol et les violences sexuelles, l’abus d’autorité, les agressions et l’extorsion.

Une protection juridique est également nécessaire. En effet, la dépénalisation, en légitimant ces travailleur.se.s, leur garantirait l’accès à la santé, à l’emploi et aux assurances, et les protégerait des abus et de l’exploitation.

La décriminalisation permettrait par ailleurs de sensibiliser et de mettre fin aux stéréotypes sur le travail du sexe. Une légalisation légitimerait la mise en œuvre de mesures juridiques, politiques, économiques, sociales et culturelles visant à lutter contre les discriminations intersectionnelles, les stéréotypes sexistes néfastes et le déni des droits économiques, sociaux et culturels qui peuvent conduire à l’entrée dans le travail du sexe, stigmatiser les travailleur.se.s du sexe et empêcher celleux qui le souhaitent d’en sortir. 

Les lois criminalisant la prostitution et/ou le travail du sexe offrent souvent l’impunité aux abuseur.se.s des travailleur.se.s du sexe, ces dernier.ère.s ayant souvent peur d’être punis en cas de signalement d’une infraction à la police. En conclusion, les lois sur le travail du sexe devraient viser à protéger les personnes contre l’exploitation et les abus, et non à éradiquer le travail du sexe et à punir les travailleur.se.s du sexe.

La législation à travers le monde

La question de la prostitution et du travail du sexe n’est pas un débat seulement au sein des mouvements féministes, mais dans toute la société. Dans la plupart des États, la prostitution est criminalisée, soit contre les travailleur.se.s du sexe elleux-mêmes, soit contre les client.e.s, et généralement aussi contre le proxénétisme. 

En France, lors de la campagne présidentielle 2022, tou.te.s les candidat.e.s sans exception, bien que n’en faisant pas un sujet prioritaire, défendent une position abolitionniste, selon le Podcast de Quoi de meuf, « Présidentielle : demandez le programme ! » du 20 mars 2022.

La Suède apparaît comme un État modèle pour les abolitionnistes, puisqu’elle criminalise le.a client.e et considère la prostitution comme une violence faite aux femmes. 

Au contraire, dans le sens de la criminalisation, deux types de législation existent. Dans des pays comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, la prostitution est légale et réglementée : les prostitué.e.s sont par exemple soumis.e.s à des examens médicaux obligatoires et forcés. Cette absence de prise en compte du consentement est pourtant contraire aux droits humains. 

Enfin, il existe quelques exemples de pays qui, comme la Nouvelle-Zélande et, très récemment, la Belgique (loi adoptée le 18 mars 2022), ont complètement dépénalisé la prostitution. Les positions de ces deux pays sont les plus conformes aux recommandations d’Amnesty International. En effet, cette dépénalisation permet aux travailleur.se.s du sexe d’avoir un statut, et donc d’avoir accès à des droits sociaux tels qu’une pension, une assurance maladie, des congés payés, ainsi que de favoriser l’enracinement d’une idée déstigmatisée du « plus vieux métier du monde ». Ces deux pays sont le signe qu’il est possible d’aller dans le sens d’une normalisation pour garantir la sécurité des travailleur.se.s et, de manière plus générale, le respect des droits humains pour tou.te.s, ce qui devrait être la principale préoccupation de tout gouvernement. 

Pour aller plus loin…

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