« Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’Å“il intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres. »
      Mémoires d’Hadrien (1951)
Figure emblématique de la littérature et du féminisme français, Marguerite Yourcenar écrivait dans Les yeux ouverts (1980) : « Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin. » Le sien fut extraordinaire : à la fois femme de lettres, écrivaine, poétesse et académicienne, Marguerite Yourcenar incarnait la femme plurielle. Mais Marguerite Yourcenar était également une femme résolument moderne aux convictions affirmées et à la bisexualité assumée.
Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour, connue sous le pseudonyme de Marguerite Yourcenar, est une écrivaine, poétesse et critique littéraire française. Née le 8 juin 1903 à Bruxelles d’un père français et d’une mère belge décédée quelques jours après sa naissance, elle est élevée par son père, grand voyageur qui l’initie à une vie cosmopolite. Bien qu’elle n’ait jamais mis les pieds à l’école du fait de ses nombreux voyages, elle obtient son baccalauréat latin-grec à Aix-en-Provence. Â
Jeunesse et premiers pas dans la littérature
Après l’obtention de son baccalauréat en 1921 à tout juste 18 ans, Marguerite Yourcenar se lance dans l’écriture poétique. En 1921, elle publie son premier poème dialogué, « Le Jardin des Chimères » (1921) sous le pseudonyme de Marg Yourcenar. Yourcenar, anagramme de Crayencour à un C près, est le pseudonyme qu’elle s’est donné avec l’aide et l’accord de son père, et qui deviendra son patronyme légal en 1947 lorsqu’elle recevra la nationalité américaine. Suite à son premier poème, elle publie l’année suivante un recueil de poèmes, Les Dieux ne sont pas morts (1922).
C’est à la mort de son père, en 1929, que Marguerite Yourcenar se consacre totalement à la littérature et publie son premier roman épistolaire. Intitulé Alexis ou le traité du vain combat (1929), l’ouvrage révèle le style minutieux et épuré de l’autrice empreint d’un grand classicisme. L’Å“uvre raconte l’histoire d’un musicien célèbre qui avoue à sa femme son homosexualité et lui fait part de son désir de la quitter.Â
En 1936 et après une désillusion amoureuse pour un homme qui ne l’aimait pas, Marguerite Yourcenar publie Feux (1936), une suite en prose lyrique. Elle compose ensuite Nouvelles orientales (1938) et Le Coup de grâce (1939). Également traductrice, Marguerite Yourcenar effectue de nombreuses traductions d’Å“uvres littéraires et de gospel américain comme en témoigne le recueil Fleuve profond, sombre rivière (1964) inspiré des thèmes sacrés et de la création qui lui sont chers.
Des choix de vie affirmés
Marguerite Yourcenar et sa compagne Grace Frick
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À la fin de la guerre, Marguerite Yourcenar part aux États-Unis rejoindre sa compagne Grace Frick, professeure de littérature. Grace Frick renonce à sa carrière universitaire, soutient financièrement et psychologiquement Marguerite Yourcenar pendant la guerre et devient la traductrice de son Å“uvre en anglais. Elles s’installent à partir de 1950 sur l’île des Monts Déserts (Mount Desert Island, dans le Maine), qu’elles avaient découverte ensemble en 1942. Elle obtiendra la nationalité américaine en 1947 et enseignera la littérature française et l’histoire de l’art jusqu’en 1953. Les deux femmes vivent ensemble jusqu’à la mort de Frick, d’un cancer du sein, en 1979.
L’autrice alterne alors périodes d’isolement sur son île et grands voyages qui alimentent son inspiration. La sexualité et les relations sentimentales douloureuses sont des thèmes qui reviennent de façon récurrente dans son Å“uvre, ce qui s’explique en partie par sa propre bisexualité. En 1951, Marguerite Yourcenar publie Mémoires d’Hadrien, un roman imprégné d’un fort humanisme. L’autrice lisait couramment le grec ancien et le latin et avait une vaste connaissance de la littérature antique. De plus, pour la rédaction de son Å“uvre, elle rassembla une documentation exhaustive et lut toute la littérature conservée de l’époque d’Hadrien. Véritable succès mondial, les Mémoires d’Hadrien sont récompensées par le Prix Femina-Vacaresco, puis par l’Académie française en 1952. Également couronnée du Newspaper Guild of New York Page One Award en 1955, cette Å“uvre permet à Marguerite Yourcenar d’affirmer définitivement son statut d’écrivaine.
Une sacralisation : L’Académie Française
Discours de Marguerite Yourcenar à l’Académie Française
Le 6 mars 1980, Marguerite Yourcenar, succédant à l’écrivain Roger Caillois, devient la première femme à intégrer l’Académie française, bien que d’autres avant elle aient déjà tenté de candidater. L’Académie Française restait jusque-là un bastion réservé aux hommes. C’est à ce titre qu’elle dira lors de son discours :
« On ne peut donc prétendre que dans cette société française si imprégnée d’influences féminines, l’Académie ait été particulièrement misogyne ; elle s’est simplement conformée aux usages qui volontiers plaçaient la femme sur un piédestal, mais ne permettaient pas encore de lui avancer officiellement un fauteuil. »
Bien que l’autrice ait déjà obtenu le Grand Prix de littérature de l’Académie Française en 1977 pour son Å“uvre Mémoires d’Hadrien (1951), son entrée au sein de l’institution ne fut pas sans difficultés. En effet, son admission provoque une véritable polémique parmi les académiciens, peu emballés à la simple idée d’élire une femme. Malgré cela, l’autrice sera soutenue par Jean d’Ormesson, écrivain à l’initiative de sa candidature qui défend son admission au sein de la Coupole. Le talent d’exception de Marguerite Yourcenar est alors reconnu et son élection constitue une véritable consécration littéraire. Cette élection représente alors à l’époque un pas important pour la reconnaissance des femmes dans la société. Elle ouvre également la voie à la nomination d’autres femmes à l’Académie française, telles que Béatrix Beck et Danièle Sallenave. Elle y siégera jusqu’à sa mort le 17 décembre 1987, à l’âge de 84 ans.
Une vie marquée par la littérature engagée
La dernière partie de sa vie se partage entre l’écriture dans l’isolement de l’île des Monts-Déserts et de longs voyages. Elle publie en 1974 son récit autobiographique Souvenirs pieux (1974). Elle fait quelques périples à travers le monde avec le jeune réalisateur américain Jerry Wilson, son dernier secrétaire et compagnon dont les photographies en couleur illustrent La Voix des Choses (1987).
Marguerite Yourcenar décède le 17 décembre 1987 à Bar Harbor. Ses cendres sont déposées au cimetière de Brookside à Somesville, un des villages de la municipalité de Mount Desert. Son abondante correspondance a été publiée partiellement sous le titre Lettres à ses amis et quelques autres par Gallimard en 1995.
Postérité
Une Fondation Marguerite-Yourcenar est créée en 1982 et placée sous l’égide de la Fondation de France, selon un souhait formulé par l’écrivaine elle-même. C’est en décembre 1980 qu’elle s’est exprimée ainsi au micro de la radio RTL, invitée à l’occasion de son entrée à l’Académie française : « Si j’avais vingt ans de moins, je fonderais une réserve naturelle au Mont-Noir, où j’ai passé une grande partie de mon enfance. » Répondant à ce vÅ“u, cette fondation à caractère écologique, reconnue d’intérêt général, a pour but de protéger la faune et la flore sauvages et a contribué à la création d’une réserve naturelle dans les Monts des Flandres.
Des romans historiques aux mémoires autobiographiques, l’Å“uvre de Marguerite Yourcenar se caractérise d’abord par l’élaboration esthétique de sa langue, au style épuré et classique, et par le privilège donné à la narration. La pensée de l’écrivaine se reconnaît notamment dans l’humanisme de la Renaissance entendu comme curiosité universelle. Elle participera également à la modernité de la femme de part sa sexualité reconnue, ses convictions féministes et sa place dans le milieu Académique qui était jusqu’alors réservé aux hommes. Cette grande écrivaine a ainsi participé à l’élévation de la femme dans le milieu littéraire et ses écrits continuent de nous toucher aujourd’hui encore.