TW/Attention : violences, violences sexuelles, suicide, meurtre

« Sœur Marie-Baptiste avait une réserve de bâtons aussi longs et épais que des queues de billard. Quand elle m’entendait parler ma langue, elle levait les mains et faisait tomber le bâton sur moi. J’ai encore des bosses et des cicatrices sur les mains. Je dois porter des gants spéciaux parce que le froid me fait vraiment mal aux mains. J’ai essayé très fort de ne pas pleurer quand j’étais battu et je peux encore retenir mes sentiments… Et j’ai de la chance. Beaucoup de personnes de mon âge, soit n’ont pas réussi, soit se sont suicidées, soit sont mortes de morts violentes, soit l’alcool les a eues. Et ce n’est pas seulement ma génération. Ma grand-mère, qui a plus de quatre-vingt-dix ans, encore aujourd’hui, c’est trop douloureux pour elle de parler de ce qui lui est arrivé à l’école. » 

Témoignage de l’ancien chef de la nation Musqueam, George Guerin, qui a été envoyé à l’école de Kuper Island.

Au début de la colonisation du Canada par les Européen.ne.s, ces dernier.ère.s créèrent des pensionnats pour les enfants autochtones. Toutefois, au début des années 1880, le gouvernement canadien, en collaboration avec l’Église catholique, a instauré un système fédéral d’écoles résidentielles pour les enfants autochtones. Ces établissements, comme les pensionnats qui les ont précédés, étaient créés afin d’assimiler, d’évangéliser et de contrôler les populations autochtones du Canada. Ce système de pensionnats était sponsorisé et financé par les autorités canadiennes, et la plupart étaient gérés par l’Église catholique. Plus de 150 000 enfants autochtones ont été violemment enlevé.e.s à leurs parents et envoyé.e.s dans ces écoles éloignées de leur communauté, dans le but de les assimiler à la culture et aux mœurs des colons et de les pousser à renoncer à leur héritage Autochtone. Il leur était interdit d’utiliser leur langue maternelle ou de faire référence à leur culture, et ce, afin de les assimiler à la société blanche canadienne. Lorsque les enfants enfreignaient les règles mises en place par les adultes travaillant dans ces établissements, iels étaient sévèrement puni.e.s. Les survivant.e.s de ces pensionnats, lors de leurs prises de parole, évoquent les abus physiques, psychologiques et sexuels, les humiliations et les mauvais traitements. De plus, l’éducation qui leur était délivrée par l’Église était très lacunaire. En effet, celle-ci était centrée sur l’évangélisation et l’endoctrinement par les membres de l’Église, et comprenait un apprentissage des connaissances liées au champ et à la cuisine. Les garçons apprenaient les travaux manuels, comme la boiserie et l’agriculture. Quant aux filles, elles apprenaient le ménage, la cuisine, la couture, etc. Les enfants avaient la charge de s’occuper des bâtiments des pensionnats. Sous couvert d’entraînement pratique, iels travaillaient hors de leur temps de classe. Les filles nettoyaient, et les garçons cultivaient la terre et faisaient de la maintenance. Les garçons et les filles étaient séparé.e.s les un.e.s des autres, et il en allait de même pour les frères et sœurs. Toute trace d’identité personnelle était effacée, les enfants portaient tou.te.s le même uniforme, la même coupe de cheveux et ne pouvaient parler que la langue officielle de la population blanche.

En 1920, le gouvernement canadien a adopté la loi sur les Indiens, qui affirme que tou.te.s les enfants autochtones devaient étudier dans ces pensionnats, et ne pouvaient pas intégrer d’autres institutions. Ces pensionnats ont eu des effets dévastateurs sur les populations autochtones du Canada, et les effets se font toujours ressentir aujourd’hui. En effet, les enfants étaient retiré.e.s de leur famille et de leur culture, ce qui a créé une énorme perte d’identité culturelle et de stabilité familiale. Ces enfants n’ont pas grandi dans un environnement familial, ce qui leur a volé l’opportunité de créer des dynamiques familiales traditionnelles avec leurs futurs enfants, ne connaissant que le système des pensionnats.

Le taux de mortalité de ces institutions était extrêmement élevé. En effet, les enfants devaient faire face à de terribles abus tous les jours. Il leur arrivait d’être attaché.e.s et brutalement battu.e.s avec des bâtons, iels étaient également attaché.e.s à leurs lits pendant de longues périodes, les encadrant.e.s leur enfonçaient des aiguilles dans la langue lorsqu’iels osaient parler leur langue maternelle. Iels devaient aussi faire face aux abus sexuels, à la torture électrique et la liste ne s’arrête pas là. Les chambres étaient surpeuplées et l’hygiène quasi inexistante. En 1907, une étude conduite par le gouvernement canadien tira la conclusion qu’environ 24% des enfants autochtones envoyés dans ces pensionnats y mourraient. Malgré ces résultats, le gouvernement n’a pas fermé ces établissements. Le dernier pensionnat de ce genre a fermé ses portes en 1996.

Dans les années 1960, le gouvernement canadien a décidé de s’éloigner progressivement du modèle des pensionnats, pour se diriger vers un système social similaire au système des enfants placé.e.s que nous connaissons aujourd’hui. Cette époque sera nommée la rafle des années soixante par les communautés autochtones. Les enfants étaient systématiquement enlevé.e.s à leurs parents par les services sociaux du Canada, et étaient placé.e.s chez des familles blanches dans une tentative de les assimiler à la culture canadienne. De la même manière que les pensionnats, les enfants étaient forcé.e.s de renier leurs racines autochtones pour s’immerger dans la culture blanche canadienne. Durant cette période, le gouvernement décida également de stopper la ségrégation qui avait lieu en milieu scolaire et d’intégrer les enfants autochtones dans le système scolaire canadien traditionnel. En parallèle, il décida de retirer les commandes des pensionnats encore existants à l’Église. Tous les pensionnats furent fermés, mais leurs conséquences se font toujours sentir au sein des communautés autochtones du Canada. 

En effet, les enfants autochtones sont devenu.e.s des adultes traumatisé.e.s, qui n’ont pas eu de véritables éducation académique et peinent à réintégrer leurs communautés. Iels furent forcé.e.s de renoncer à leurs racines, expliquant leurs difficultés pour renouer avec celles-ci. L’éducation raciste qu’iels ont reçue, que ce soit dans les pensionnats ou le système des services sociaux, leur a inculqué que leur culture était inférieure à la culture blanche canadienne, ce qui a mené à des pertes culturelles innombrables de langages et de traditions. La rafle des années soixante a toujours des effets aujourd’hui, les enfants autochtones représentant une écrasante majorité dans les statistiques des enfants placé.e.s par les services sociaux canadiens.

Ces dernières années, des centaines de cadavres d’enfants ont été trouvés sous les bâtiments des pensionnats, avec certains corps estimés être âgés de trois ans seulement. La mort de ces enfants n’a pas été documentée, ce qui rend impossible l’espoir de retrouver leur famille. Le 18 juin 2008, le gouvernement canadien a présenté ses excuses officielles pour son rôle dans la création et le maintien des pensionnats. Toutefois, ceci n’efface en rien les conséquences de ces politiques sur la population autochtone du Canada. En juillet 2022, le pape François a également présenté ses excuses pour le rôle de l’Église dans l’enlèvement, l’abus et le meurtre des enfants autochtones. Néanmoins, cette parole semble vide, car l’Église refuse toujours de déclassifier les documents nécessaires à l’identification des enfants décédé.e.s dans ces pensionnats, ainsi que la reconstitution de ce qui arrivait entre leurs murs. De ce fait, même si ces excuses sont un premier pas dans la bonne direction, il reste encore énormément de chemin à faire, vers la réconciliation avec les peuples autochtones.

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