Lorsqu’un événement important a lieu, notamment s’il divise l’opinion, s’il est lié aux droits humains ou à des sujets politisés, certaines célébrités décident de prendre la parole, d’autres, au contraire, restent en retrait. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, l’importance prise par les réseaux sociaux a changé cette perception et les célébrités, quel que soit leur domaine, sont de plus en plus poussées à prendre la parole sur l’actualité. Il peut s’agir de sujets de fond comme le féminisme, la défense des minorités sexuelles, la défense de l’environnement, etc. D’autres sujets liés à une actualité particulière, comme à la suite de la mort de Mahsa Amini en Iran l’année dernière, ou plus récemment aux attentats du 7 octobre en Israël, et les crimes commis par l’État israélien sur Gaza, peuvent faire naître des réactions. Certaines célébrités sont très engagées pour une cause précise, d’autres, d’abord silencieuses, finissent par se positionner, d’autres revendiquent une certaine neutralité, certaines assument ne pas vouloir prendre position par peur des réactions, beaucoup dénoncent la pression qui leur est mise par les militant.e.s des différents sujets.
Est-il vraiment le rôle des acteur.rice.s, chanteur.se.s, humoristes, influenceur.se.s, de prendre des positions de ce genre ? Pouvons-nous réellement attendre une réaction aux sujets d’actualité par des personnes principalement connues pour du divertissement. Sont-elles légitimes ?
« Les personnes médiatisées devraient utiliser leur influence pour de bonnes causes »
Pour reprendre l’exemple des crimes commis ces dernières semaines en Palestine, plusieurs personnalités ont fait des posts, plus ou moins développés, sur ce qui se passait, en penchant, plus ou moins, soit du côté des civil.e.s palestinien.ne.s, soit du côté des Israélien.ne.s. Certaines célébrités ont été très critiquées de ne pas le faire, d’autres d’être trop neutres, de ne pas prendre parti, de défendre simplement « la paix ». Lors d’actualités aussi sensibles, et pendant lesquelles de telles atrocités sont commises contre des civil.e.s, contre des enfants, il peut sembler intenable de continuer à divertir sur leurs sujets habituels, sans faire un point sur la situation. Certains sujets sont peut-être trop graves pour accepter que des personnes avec une telle influence restent silencieuses et continuent leur vie comme si de rien n’était.
Dans les cas des violences sexistes et sexuelles, l’idée qu’il ne faut pas séparer la personne de l’artiste est souvent défendue. Cela pourrait également donc être appliqué dans le cas de prise de position. Que ce soit des acteur.rice.s, des chanteur.se.s, des influenceur.se.s, des humoristes, etc., iels sont généralement suivi.e.s et apprécié.e.s pour ce qu’iels sont en plus de ce qu’iels font. Ainsi, en tant qu’être humain, iels devraient être touché.e.s et faire leur possible pour informer et tenter à leur échelle de faire avancer le débat. Il est possible de se dire que les personnes célèbres, par la portée de leur influence, ont un devoir moral de partager des ressources instruites apportant des informations fondées au plus grand nombre et de mettre en lumière des avis construits.
Dans le cas de personnes qui ne sont pas expertes sur tel et tel sujet, ce qui est majoritairement le cas dans le cas de célébrités de divertissement, elles pourraient utiliser leur influence non pas pour donner un avis personnel, mais pour partager des ressources, des articles, des pages qui informent sur une situation donnée, sans forcément donner d’opinion, ou pour donner une voix à une personne ou un groupe plus marginalisé. Toujours sans prendre la parole directement et avoir à développer un argumentaire, les personnalités publiques peuvent également participer à des marches, des manifestations pour une cause, et essayer de rallier d’autres célébrités et des participant.e.s grâce à leur notoriété. Enfin, les réseaux sociaux facilitent les « repartages », par cela, les célébrités peuvent très facilement, sans avoir à y ajouter du fond, participer à la médiatisation de certains combats, de certains événements, de levées de fonds, etc.
Il n’est donc en aucun cas demandé aux célébrités d’être expertes sur tous les sujets, ou d’être ambassadeur.rice.s de toutes les causes. Cependant, il peut sembler approprié d’attendre de personnes avec une telle influence, d’essayer de l’utiliser pour des causes justes.
« Les célébrités sont là pour nous divertir, pas pour nous informer »
Un certain nombre d’arguments vont plutôt dans le sens du fait que ce n’est pas le rôle des personnes que nous suivons et apprécions, pour leur art, d’informer leur public sur des sujets qui vont au-delà de leur spécialité. En effet, il est tout à fait défendable de dire honnêtement qu’on ne connaît pas tel ou tel sujet, et que, par conséquent, on n’est pas en mesure d’en parler. Les célébrités, notamment les acteur.rice.s, les chanteur.se.s, les influenceur.se.s sont justement célèbres, car iels nous divertissent, pas parce qu’iels sont ambassadeur.rice.s de telle ou telle cause.
De plus, pousser les célébrités à absolument prendre position sur tous les sujets présentent plusieurs risques. Tout d’abord, un risque d’essentialisation. En effet, il est parfois attendu des femmes d’absolument prendre position sur le féminisme, de même pour une personne queer, ou à un groupe religieux. Ce n’est pas parce qu’on appartient à une communauté que l’on doit forcément en être le.a porte-parole, ce serait mettre une énorme charge sur chacun.e de ses membres.
De plus, la relation entre une célébrité et son public, notamment les plus fans, est par nature asymétrique et implique nécessairement des enjeux de domination et de pouvoir. En effet, le point de vue exprimé par les personnes célèbres fait figure d’autorité. Pour rejoindre la question de la connaissance des sujets, dans la mesure où ces dernières ne sont pas toujours suffisamment informées pour donner un avis et un argumentaire construit, il serait donc préférable qu’elles s’abstiennent d’influencer les débats. Cela s’ajoute au fait que si un grand nombre de célébrités prennent position pour le même avis sur un débat, par leur influence, cela peut créer un environnement dans lequel les opinions contraires seraient moins valorisées, réduisant le pluralisme. Ce rapport de domination et l’influence importante des célébrités, peut, dans le cas où l’on partage leur avis, être vu comme une bonne chose, mais dans le cas inverse, du partage de fausses informations, de défense de violations des droits humains, de normalisation de partis politiques fascistes par exemple, pourrait donc présenter un risque important pour la démocratie et les défenseur.se.s des droits humains.Â
Enfin, puisque de nombreuses personnes poussent les célébrités à prendre position, certaines peuvent avoir conscience du fait que cela pourrait les faire gagner en popularité, les aider à promouvoir leurs projets pendant leur promotion, etc. Ce phénomène de « faketivism », de faux militantisme par intérêt, comme des marques peuvent mettre certaines valeurs en avant pour augmenter leur clientèle, est à prendre en compte. Ceci risque également de discrédité l’engagement d’autres militant.e.s que d’être associé.e.s à des célébrités qui ne sont pas sincères dans leur engagement, par exemple dans le cas de personnes connues qui se revendiquent comme militante contre le réchauffement climatique, mais qui n’adaptent en aucun cas leur mode de vie, et ont notamment une énorme empreinte carbone.
Pour toutes ces raisons, il faut nuancer et limiter ses attentes envers les célébrités. Il faut garder en tête qu’elles évoluent dans leur propre milieu, avec leurs propres intérêts. Il peut par ailleurs sembler humain de ne pas vouloir risquer des années de travail pour une prise de position.
Notre génération est parfois accusée de ne pas être assez politisée, de ne pas assez aller voter, etc. Au contraire, elle est aussi accusée d’être trop radicale, de mettre en place une « cancel culture » (voir notre article sur le sujet), de tout voir de façon manichéenne. Il est, dans tous les cas, difficile de faire des généralités, quelles que soient les générations. Il est certain que, pour les personnes dont je fais partie, militantes, sensibilisées aux droits humains, qui essaient de se renseigner, de s’éduquer, d’agir à leur échelle, il peut être difficile de se dire que la vie continue, qu’on peut simplement se divertir et qu’il n’est pas forcément le rôle de tou.te.s de prendre la parole. En effet, avec les réseaux sociaux, il est possible de toucher un si grand nombre de personnes, qu’on sait que des personnes fan sont capables de suivre une prise de position juste parce que leur idole l’incarne (ce qui peut être un problème en soi), il y a un grand risque autour de ça, d’en attendre trop de personne qui ne sont que des êtres humains, avec leurs faiblesses et leurs défauts. Je pense qu’il est bien et important que certaines célébrités utilisent leur voix pour informer, sensibiliser, essayer d’agir. Pour autant, et ce, quelle que soit la source de l’information, un journal, un.e politique, une célébrité, il est fondamental de prendre du recul sur les positions qui sont prises, et de garder un esprit critique.
Il semble qu’il relève du choix de chacun de vouloir suivre uniquement des personnes qui prennent position, sensibilisent, informent, ou bien, des personnes qui, en quelque sorte, s’en tiennent à ce qui est théoriquement attendu d’elles : divertir.