La prison est partout, dans nos séries préférées, dans les films, dans la littérature, il en est question dans les médias, elle semble avoir toujours existé et être nécessaire pour garantir notre sécurité, une punition et la justice. Et pourtant, vous êtes-vous déjà interrogé.e sur la pertinence de son existence ? Sur l’intérêt d’enfermer pour rendre justice ? Moi, oui ! Ce questionnement m’est notamment venu dans le cadre de condamnations d’auteurs de violences sexistes et sexuelles, en particulier suite à la vague #MeToo et à la libération de la parole des victimes. Je me suis demandée si cela était vraiment une solution, si cela permettait aux victimes de se reconstruire, aux auteurs de comprendre ce qu’ils avaient fait et donc de ne pas recommencer. 

Ce sont ces interrogations qui m’ont menée vers Pour Elles Toutes. Femmes contre la prison de Gwenola Ricordeau. Dans ce livre l’autrice nous parle de ce courant de pensée, l’abolitionnisme pénal, qui questionne l’utilité et l’efficacité du système pénal et lutte pour son abolition. Elle le fait d’une façon bien particulière, rarement, voire jamais vue auparavant, et qui m’a personnellement encore plus attirée vers ce sujet. Elle élabore en effet un lien entre abolitionnisme et féminisme. 

Le livre s’ouvre sur un avant-propos vibrant, suivi d’une introduction, dans lesquels Gwenola Ricordeau confie ses motivations à écrire ce livre, ainsi que le public auquel elle le dédie, à savoir les femmes qui ont été confrontées à l’univers carcéral. Elle parvient à nous capter dès les premières pages par sa plume précise et douce, nous faisant comprendre les enjeux de cette question. 

Le premier chapitre du livre est consacré à l’abolitionnisme. L’autrice nous fait découvrir cette pensée de manière pédagogue, la rendant accessible à  tou.te.s. Elle commence par poser les bases du sujet, expliquer de quoi il est question en rappelant ce que sont la prison et le système pénal et comment s’est développée la pensée abolitionniste, en Amérique du Nord d’abord, puis en Europe. À la fin de ce chapitre qui expose toutes les limites de ces institutions, il est difficile de ne pas commencer à remettre en cause ce qu’on pensait jusqu’ici efficace et irremplaçable. 

Les trois chapitres suivants sont dédiés aux trois différentes façons dont les femmes peuvent être amenées à faire face à la prison et au système pénal : en tant que victimes, en tant que détenues et en tant que proches de prisonnier.ère.s. En effet, bien que les femmes représentent moins de 4% des détenu.e.s, il s’agit d’une population qui fait directement face à la prison et au système pénal et dont la vie peut en être très fortement impactée.

Dans le chapitre cinq, Gwenola Ricordeau propose un parallèle entre l’abolitionnisme pénal et le féminisme. La plupart des féministes sont, sans le savoir, des « féministes carcérales », une expression d’Elizabeth Bernstein qui caractérise les féministes en faveur du système pénal, du durcissement et de l’allongement des peines, sans se demander qui va être pénalisé. La condamnation du harcèlement de rue en est un exemple phare. En effet, en se concentrant sur cette forme de harcèlement, il est question de condamner des hommes que les victimes ne connaissent pas, l’agression se produisant dans la rue, ponctuellement, alors que la plupart des agresseurs sexistes et sexuels sont des personnes que les victimes connaissent. De plus, cette condamnation des « outrages sexistes » est d’autant plus discutable que les hommes visés sont ceux qui occupent l’espace public, dont les profils sont plutôt des hommes jeunes, racisés, issus de la classe populaire. Gwenola Ricordeau expose les différents arguments qui lient l’abolitionnisme pénal et le féminisme et explique que les féministes ont un rôle essentiel à jouer dans l’abolitionnisme pénal.

Après avoir découvert l’abolitionnisme, et à ce niveau-là de la lecture, étant plein.e de doutes et en remise en question totale de notre rapport au système pénal, l’autrice nous propose au chapitre six des pistes pour « s’émanciper du système pénal et construire l’autonomie ». Gwenola Ricordeau en évoque trois : la justice réparatrice, la justice restaurative1 et la justice transformative. Elle se concentre davantage sur cette dernière. Dans la justice transformative, il est question de « responsabilité communautaire » ; un processus collectif. En effet, il n’y a pas que la victime et l’auteur.rice dans le processus puisque lorsqu’un « préjudice » se produit, c’est toute la communauté qui a échoué, cette dernière a donc sa place dans la résolution. Pour les abolitionnistes, il n’est donc en aucun cas question de remplacer la prison par une institution équivalente : le projet est plus large et sous-entend un changement de la société dans son ensemble. 

Je vous conseille de lire ce livre, que vous vous soyez déjà interrogé.e ou non, que vous ayez déjà fait face au système pénal ou non, que vous ayez confiance en cette institution ou non. Il est important de questionner ce qui nous entoure, et ce, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une institution aussi ancrée dans notre société et ayant des répercussions aussi grandes sur les personnes qui y sont confrontées que la prison. 

Pour aller plus loin…

Puisque personne n’en parle mieux que l’autrice elle-même, beaucoup d’interviews de Gwenola Ricordeau sont disponibles en ligne. Elle a notamment un épisode dédié du podcast La Poudre de Lauren Bastide (Épisode 89 – Une justice féministe avec Gwenola Ricordeau, 25 février 2021), disponible sur toutes les plateformes d’écoute (lien Spotify : https://open.spotify.com/episode/0ogPxBueKn3c7N6w7FU7SI?si=ZvwChKJoT_CQx4_ENBvyKQ).

Quelques idées de lectures : 

  • Are Prisons Obsolete? d’Angela Davis, Seven Stories Press, 2003 (disponible en français : Les prisons sont elles obsolètes aux éditions Au Diable Vert, 2014). Le titre parle de lui-même, Angela Davis questionne l’intérêt de la prison, elle se concentre sur les États-Unis et les liens du système carcéral avec le capitalisme ou encore avec le racisme. Elle élabore également des propositions d’alternatives. Il s’agit d’un livre incontournable sur l’abolitionnisme. 
  • Décarcérer de Sylvain Lhuissier aux éditions Rue de l’échiquier, 2020. Un essai court qui répond aux principaux préjugés sur la prison.
  • Une théorie féministe de la violence. Pour une politique antiraciste de la protection de Françoise Vergès aux éditions La Fabrique, 2020. Dans ce livre, l’autrice interroge l’État et le néolibéralisme et la place importante tenue par la violence dans nos sociétés. Dans une réflexion plus large sur le féminisme, elle évoque l’échec du féminisme punitif et présente le féminisme anti-carcéral. 

L’autrice 

Gwenola Ricordeau est une sociologue, professeure assistante en justice criminelle à la California State University, Chico. Son travail se concentre sur les proches de détenu.e.s, le genre et la sexualité en prison. Elle tient et revendique une position abolitionniste et une position féministe. 

Ricordeau, G. (2019). Pour Elles Toutes. Femmes contre la prison, Montréal, Éditions Lux.

References
1 La justice réparatrice et la justice restaurative cherchent à « restaurer les liens » sociaux. La victime et l’auteur.rice échangent avec l’aide d’un.e intermédiaire sur la situation, les conséquences de l’infraction, et les traumatismes qui en résultent, afin d’aider les deux partis dans leur reconstruction.

2 Commentaire

  1. […] un de nos articles sur le livre Pour elles toutes. Femmes contre la prison de Gwenola Ricordeau (Lux, 2019), les critiques faites au système pénal tel qu’il existe avaient été évoquées et […]

  2. […] one of our articles on the book Pour elles toutes. Femmes contre la prison (“To all of them. Women against prison”) by Gwenola R… (Lux, 2019), the criticisms made of the penal system as it currently exists were discussed, in […]

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