Dans un de nos articles sur le livre Pour elles toutes. Femmes contre la prison de Gwenola Ricordeau (Lux, 2019), les critiques faites au système pénal tel qu’il existe avaient été évoquées et notamment son incapacité à répondre aux besoins des victimes, et des pistes pour « s’émanciper du système pénal et construire l’autonomie » (chapitre 5 du roman) avaient été présentées. Bien que peu développée dans le livre, l’autrice cite la justice restaurative. 

Qu’est-ce que la Justice restaurative ?

La justice pénale, dans la forme dans laquelle nous la connaissons, a une dimension punitive centrale, suite à un non-respect des règles de la société. Cependant, pour les victimes, recevoir de l’argent, ou savoir que son agresseur.se est puni.e, ne suffit pas à l’aider à aller mieux. De l’autre côté, pour l’auteur.rice de l’infraction, être désigné.e et reconnu.e coupable, ne veut pas dire se sentir responsable et comprendre les répercussions de son acte. En effet, les auteur.rice.s peuvent penser que la vie continue, que elleux payent pour ce qu’iels ont fait, sont puni.e.s, peut-être sont en prison, mais que pour les victimes, une fois le procès passé, l’histoire est terminée et qu’elles peuvent avancer. Ce qui est loin d’être le cas.

Lorsqu’une infraction est commise, elle affecte la victime, l’auteur et le lien social. Les dispositifs de justice restaurative visent à réparer ces trois aspects. Il est question de responsabilisation pour les auteur.rice.s et de réparation autant pour les victimes que pour les auteur.rice.s, de reprendre une vie normale, et éventuellement, de limiter la récidive.

En France, la justice restaurative est entrée dans le code de procédure pénale par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, une loi portée par la ministre de la Justice de l’époque, Christiane Taubira. Selon l’article 10-1 du code de procédure pénale, « à l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative (…), toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission »1. Depuis 2014, la Justice française permet alors à des personnes victimes et auteur.rice.s d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnel.le.s et/ou des bénévoles, sur la base du volontariat. Le film Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry nous emmène en immersion dans ces processus. 

En France, l’Institut français pour la Justice Restaurative est une organisation dédiée à « la promotion de la justice restaurative, à l’aide au développement de programmes de justice restaurative et à la mise en œuvre de dispositifs de dialogues restauratifs, dans le champ pénal, comme hors du champ pénal, dans le judiciaire ou extrajudiciaire, respectueuse des plus fortes valeurs consacrant le respect de la personne humaine »2. Le film est soutenu par l’Institut, qui a aidé la réalisatrice dans ses recherches pour le préparer.

Au début du film, nous assistons à la formation de nouveaux bénévoles qui iront à la rencontre de victimes et d’auteur.rice.s pour les accompagner dans les processus de justice restaurative. Le formateur leur explique : « Ce que vous proposez à ces gens, c’est l’inverse de ce qu’on leur a toujours proposé. On ne parle pas à leur place. On ne suggère rien. On écoute. On accueille. Inconditionnellement. Si vous leur laissez un espace pour réfléchir, ils vont réfléchir. Sinon, ils vont dire ce qu’ils ont toujours dit à tout le monde, et ils vont taire ce qu’ils ont toujours tu. On est là pour favoriser leur réparation ».

Avec la justice restaurative, « l’idée est de dire : ce que l’auteur a commis est un acte inacceptable. Mais il reste d’abord un être humain. Pour qu’il puisse réintégrer la société dont son acte l’a exclu, comment faire preuve de responsabilisation envers son crime et aider à la réparation de celui ou celle qui en a été victime ? », selon Noémie Micoulet, Coordinatrice de l’antenne Sud-Est de l’Institut français pour la Justice Restaurative.

Prendre le temps d’écouter

Le film suit deux processus parallèles, montrant les différentes formes que peut prendre la justice restaurative. L’un se déroule en prison dans un cercle de parole. Trois victimes font face à trois auteurs. Il ne s’agit pas des victimes directes des auteurs. En effet, un des dispositifs de la justice restaurative permet un échange entre des victimes et des auteur.rice.s autour d’un même type d’infraction, dans ce film, les vols (un braquage, un cambriolage et un vol à l’arraché). Au départ, aucun.e d’elleux ne se connait. En présence de deux bénévoles formé.e.s pour accueillir et encadrer les discussions, les victimes et les condamné.e.s échangent durant cinq séances de trois heures chacune, dans le but d’aider les un.e.s à se reconstruire, les autres à saisir ce que leurs actes ont eu comme conséquences. 

D’un autre côté, nous suivons l’histoire de Chloé, victime d’inceste pendant son enfance. Depuis qu’elle a appris que son frère, son agresseur, était de retour dans la ville où elle vit, elle ne se sent plus en sécurité et a peur de le voir. Elle ne veut pas le croiser, pas même par hasard. Pour ce faire, elle prend rendez-vous avec Judith pour organiser une médiation, afin de se partager le quotidien et les lieux, l’occasion aussi de peut-être enfin avoir les réponses qu’elle attend depuis des années. Le processus va durer plusieurs mois, pendant lesquels Judith va préparer d’un côté Chloé, et de l’autre son frère, pour cette rencontre. Elle les prépare chacun.e au possible choc, aux possibles déceptions, à limiter les attentes, pour les protéger. À travers la position de Judith, nous découvrons la tâche difficile et singulière des médiateur.rice.s. En effet, iels doivent laisser la place à l’autre, tout en l’écoutant, « se mettre en mode avion », comme l’explique leur formateur, écouter, tout en gardant une distance dans l’empathie.

À travers leurs parcours, nous voyons leur évolution, de la colère à l’espoir, de la déresponsabilisation à la prise de conscience, des liens créés, la confiance retrouvée petit à petit par les victimes, laissant espérer la réparation. 

La réparation permise par la justice restaurative est intime, psychique. Le processus permet une meilleure compréhension des autres, il est question de la puissance des mots et de l’écoute. Dans les discussions, chacun.e s’ouvre à l’autre, chacun.e est entendu.e, écouté.e, et écoute les autres à son tour. C’est un processus long, coûteux, pour tou.te.s, en temps, en énergie, mais qui permet une réelle libération.

Un processus qui prend du temps, mais qui a déjà pu faire ses preuves. Dans le film, Nawelle, victime d’un braquage, est depuis cinq ans traumatisée par ce qu’elle a vécu. Son agresseur n’a pas été arrêté et elle a une peur constante : qu’il la retrouve. Elle se sent donc continuellement en danger. Pendant une des sessions d’échange, elle raconte son histoire, l’impact que cet événement a eu sur toute sa vie et sa peur qui persiste. Suite à cela, Nassim, un des auteurs, la rassure en lui donnant le point de vue du cambrioleur, lui expliquant que s’iels venaient à se croiser, c’est lui qui aurait peur et qu’il fuirait immédiatement, qu’elle n’a plus rien à craindre de lui. La session suivante, Nawelle commence par prendre la parole, en s’adressant à Nassim : « Ça fait trois ans que je suis suivie par un psy et là, en trois heures, tu m’as débloquée », exemple du pouvoir libérateur de ces sessions.

Actuellement en France, 83 mesures de justice restaurative, concernant 131 bénéficiaires, sont en cours. Ces chiffres si faibles s’expliquent en partie par le manque de connaissance de l’existence de ces mesures. En cela, le film Je verrai toujours vos visages est fondamental, pédagogique. Il pourrait marquer un réel tournant pour la justice restaurative et aider de nombreuses victimes à se tourner vers ces processus, qui, peut-être, n’en connaissaient pas l’existence.

Avoir recours à des processus de Justice restaurative

Les mesures de justice restaurative peuvent être proposées aux victimes et auteurs par :

  • les autorités judiciaires ;
  • le service pénitentiaire d’insertion et de probation ;
  • la protection judiciaire de la jeunesse ;
  • les associations d’aide aux victimes ;
  • toute association socio-judiciaire habilitée par la cour d’appel ;
  • les avocat.e.s ;
  • les services de police et de gendarmerie.

Les victimes, les auteur.rice.s et leurs proches peuvent, elleux aussi, demander la mise en place d’une mesure auprès de ces mêmes acteur.rice.s. S’iels sont mineur.e.s, les représentant.e.s légaux.les doivent donner leur accord.

En tant que victime d’une infraction, vous pouvez vous rapprocher d’une association d’aide aux victimes, vous adresser au bureau d’aide aux victimes (BAV) du tribunal judiciaire ou composer le 116 006 (numéro européen d’aide aux victimes).

En tant qu’auteur.rice d’une infraction, vous pouvez notamment vous adresser au service en charge de votre suivi judiciaire ou auprès du tribunal judiciaire.

Plus d’informations sur le site de l’Institut français pour la Justice Restaurative.

Je verrai toujours vos visages, un film réalisé par Jeanne Herry, en salle en France le 28 mars 2023, 118 minutes.

References
1 La loi complète : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029362502/
2 Site de l’Institut français pour la Justice Restaurative : https://www.justicerestaurative.org/

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