Le cinéma, en tant qu’art, se doit d’être une représentation de la société à l’écran. En témoignent les films à qui l’on reproche d’avoir « mal vieilli », le Septième art évolue en même temps que la société. Humour et rôles genrés, entre autres, ont donc progressé à l’écran en même temps que la réalité sociale. Cependant, certaines questions échappent à la règle, notamment les personnes racisées et leur place. Représentation, rôles stéréotypés, les acteur.rice.s non-blanc.he.s sont trop souvent mis.es à mal dans le monde du cinéma. Malgré une absence flagrante de données sur ce sujet en France, due à l’interdiction compréhensible de tenir compte du nombre de personnes par couleur de peau, iels sont de plus en plus nombreux.ses à témoigner pour faire évoluer les mentalités et les œuvres.
La question de la représentation, ou devrais-je dire du manque de représentation des personnes racisées, est donc difficile à juger du fait de cette absence de données. Cependant, ce manque n’a pas empêché, en France, Aïssa Maïga de livrer un puissant discours lors de la cérémonie des Césars 2020, dans lequel elle souligne le manque de diversité de la « grande famille du cinéma français ». Son texte débute par un décompte des « têtes [qu’elle] reconnaî[t] » dans la salle : Eye Haïdara, Karidja Touré, Ladj Ly. La liste brille par sa brièveté. Elle poursuit en affirmant : « J’ai toujours pu compter sur les doigts d’une main le nombre de non-blancs. Alors, je sais qu’on est en France et qu’on n’a pas vraiment le droit de compter, mais là, j’ai fait le compte et je crois qu’on est à peu près 12 ». 12, donc, sur les 1 600 personnes que comptait, ce soir-là, la salle Pleyel selon Aïssa Maïga. 0,75% de l’assemblée. Son discours, remarqué par les médias, mais auquel s’est heurté le malaise du public, était, et est encore, plus que nécessaire. Marquer les esprits pour faire évoluer les mentalités.
Dans cet évident manque de données transparaît tout de même une étude, « Cinégalités », menée en 2020 par le collectif 50/50, qui dresse un état des lieux de la diversité et de l’égalité des genres dans le cinéma français. En analysant 115 films sortis en 2019, l’étude montre une sous-représentation des personnes non-blanches, 20% des personnages étant perçus comme non-blancs (9% comme noir.es, 9% comme arabes et 2% comme asiatiques). L’étude montre aussi une différence en fonction des tranches d’âge et des genres : Maxime Cervulle, co-directeur de l’étude et professeur d’université en sciences de l’information et de la communication à Saint-Denis, note que « La diversité se trouve cantonnée à la jeunesse, et de façon très nette. Plus les personnages sont âgé.e.s, plus la part de ceux perçus comme non-blancs régresse ». Dans les chiffres, on retrouve en effet cette tendance : le pourcentage de personnages perçus comme non-blancs s’élève à 39% chez les 15-20 ans, puis diminue à 15% des 50 à 64 ans jusqu’à atteindre 9% des 65 à 79 ans. Par ailleurs, la diversité est aussi plus forte chez les hommes, avec 22% des personnages masculins racisés contre 17% pour les femmes.
Au-delà de cette insuffisance donc évidente de représentation, les personnes racisées se retrouvent également trop souvent cantonnées à des rôles stéréotypés. L’association Lallab, féministe et antiraciste, a proposé un article présentant « 8 stéréotypes de femmes racisées dans le cinéma français » dont la lecture incite à la réflexion. Les clichés sont tellement présents, même de manière inconsciente, qu’il est parfois difficile de les repérer en tant que préjugés. Toujours est-il que le cinéma en est truffé, et en voici quelques exemples.
Avec Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu (2014), comédie de Philippe de Chauveron, l’humour semble de mise. Malgré un succès certain au box-office, le film divise, et pour cause : toute son histoire repose sur des stéréotypes racistes. Claude et Marie Verneuil, un couple bourgeois, blanc, gaulliste et catholique, voient leur petit monde s’effondrer lorsqu’iels rencontrent leurs quatre gendres : un homme noir, un homme chinois, un homme juif et un homme algérien. Sous couvert d’un humour populaire qui pourrait paraître tout à fait inoffensif se cache en fait une banalisation du racisme ordinaire.
Ces stéréotypes sont également présents dans Le Brio (2017, film d’Yvan Attal) sous la forme d’un homme, blanc, la cinquantaine bien avancée et professeur d’université qui aide une jeune femme perçue comme d’origine maghrébine et venant de Créteil à remporter un concours d’éloquence. Si le racisme est abordé dans le film dès les premières minutes, son propos n’est en fait pas poussé et la forme de « sauvetage » du personnage de Camélia Jordana par celui de Daniel Auteuil alimente l’image de l’homme blanc supérieure à la femme racisée dans la conscience populaire.
Malgré ces constatations peu réjouissantes sur la représentation des personnes racisées dans le cinéma français, nous pouvons cependant espérer un progrès de cette question. En témoigne notamment Le Chant du loup, sorti en 2019 et réalisé par Antonin Baudry, dans lequel Omar Sy et Reda Kateb incarnent deux militaires français et où l’origine perçue des protagonistes n’est en aucun cas le sujet du film. Kateb et Sy jouent respectivement un capitaine de frégate et un capitaine de corvette : deux grades d’officier supérieur de la Marine nationale française. Leurs origines supposées ne sont jamais discutées et les deux hommes remplissent des postes haut-placés, l’histoire contribuant alors à un monde artistique qui pourra, nous l’espérons, avoir une influence positive sur la société.
Sources
CHOPPIN, D. (2021). « L’étude du Collectif 50/50 pointe le manque de diversité dans le cinéma français » ecran-total.fr [online] 8 Déc. Available at: https://ecran-total.fr/2021/12/08/letude-du-collectif-50-50-pointe-le-manque-de-diversite-dans-le-cinema-francais/
EMNA, H. (2018). Top 8 des stéréotypes de femmes racisées dans le cinéma français. lallab.org [online] 20 Juin. Available at: https://www.lallab.org/top-8-des-stereotypes-de-femmes-racisees-dans-le-cinema-francais/
JESSICA. (2020). Focus : les personnes non-blanches dans le cinéma français. bonchichbongenre.fr [online] 5 Mars. Available at: https://bonchicbongenre.fr/focus-les-personnes-non-blanches-dans-le-cinema-francais/
KONATE, D. (2022). Cinéma français : où sont les femmes, les LGBTQ+ et les minorités ? telerama.fr [online] 13 Janv. Available at: https://www.telerama.fr/cinema/cinema-francais-ou-sont-les-femmes-les-lgbtq-et-les-minorites-7008203.php
MAÏGA, A. (2020). « Discours aux Césars 2020 » youtube.com [online] 29 Fév. Available at : https://www.youtube.com/watch?v=5GbA0cWii80
RAJA, N. (2020). Le discours d’Aïssa Maïga sur la diversité était le moment politique dont les César avaient besoin. vanityfair.fr [online] 29 Févr. Available at: https://www.vanityfair.fr/culture/ecrans/articles/cesar-2020-le-plaidoyer-necessaire-daissa-maiga-pour-plus-de-diversite-dans-le-cinema-francais/79121