En octobre, une partie de l’équipe de GROW a eu la chance d’assister à une projection en avant-première du film espagnol Las Buenas Compañias (en français En Bonne Compagnie) réalisé par Silvia Munt. Sorti en salles le 18 octobre, il met en scène une adolescente de 16 ans, Béa, dont l’on suit le quotidien au Pays basque espagnol de la fin des années 1970. En abordant plusieurs sujets liés au corps de la femme et à sa place dans la société, En Bonne Compagnie est avant tout une ode à la fois puissante et attendrissante au féminisme.

Au préalable, une petite mise au point historique s’impose. Nous sommes donc en 1977, au crépuscule de régime franquiste et à l’aube d’une transition démocratique nouvelle. L’Espagne est alors secouée par de nombreux changements, de la restauration de la monarchie à l’arrivée au pouvoir du socialisme. Le pays se propulse à nouveau sur le devant de la scène et entame tout un tas de réformes économiques lui permettant d’entrer dans une période nouvelle de prospérité. Cette transition s’accompagne d’un important mouvement de libération des mÅ“urs et de renouvellement culturel et artistique, la Movida, contribuant alors à la modernisation et à l’intégration de la société espagnole dans l’Europe démocratique. Toutefois, au Pays basque, les choses se passent un peu différemment. Jouissant d’un statut autonome lui permettant de se démarquer des autres régions d’Espagne, la transition s’y effectue peut-être de façon plus lente et plus distante. Endurci par son âme résistante, le peuple basque semble plus en retrait sur les évènements qui concernent le reste du pays. Comme si une bulle s’était construite autour d’elleux, ce qui favorise le maintien d’un certain conservatisme, forgé par les idées franquistes. Comme sous-entendu dans le film, les dissident.e.s au régime et les socialistes, dont fait partie le père de la protagoniste, se sont d’ailleurs exilé.e.s en dehors du Pays basque. C’est donc dans la petite ville d’Errenteria, en bordure de Saint-Sébastien, que Béa se heurte aux barrières de son époque et entame ses différents combats, tant personnels qu’universels.

Las Buenas Companias c’est d’abord l’histoire de femmes qui luttent pour leurs droits fondamentaux. L’histoire de femmes qui combattent en espérant pouvoir un jour avorter en toute liberté. Car oui, en Espagne, l’avortement est, à cette période, toujours illégal et fortement réprimé. Une toile de fond est dressée à partir de faits et d’évènements ayant réellement eu lieu. Le film s’inscrit en effet dans le contexte de l’affaire des « 11 de Bilbao ». Onze femmes issues de la classe ouvrière qui ont subi un procès pénal de 1976 à 1985, accusées d’avoir pratiqué des avortements. Ce procès est d’ailleurs considéré comme le précurseur et le moteur de la première loi démocratique sur l’avortement qui, en 1985, a dépénalisé celui-ci en Espagne. De nombreux soulèvements en soutien à ces femmes secouent petit à petit le pays, mais restent très timides dans la ville de Béa. Déterminée, elle se lie d’amitié avec un groupe de jeunes femmes activistes et enchaîne les petits actes militants, principalement dans leur petite ville basque. Durant toute la première partie du film, c’est alors la fougue de la jeunesse que représente Béa. La colère et la volonté d’émancipation puissante des jeunes femmes de ce temps, prises au piège entre la société de leurs parents encore trop conservatrice et les espoirs d’un avenir plus doux. C’est principalement grâce au caractère rebelle de Béa que le premier message du film passe. La réalisatrice lance un appel au combat. La figure de Béa, en tant que portrait de la jeunesse révoltée, semble traverser les époques et s’ériger en tant que modèle. On assiste à un éloge de la solidarité féminine qui clame haut et fort que l’union fait bel et bien la force. D’ailleurs, les hommes ne sont qu’un arrière-plan. Toutes les personnes qui constituent l’intrigue centrale du film sont des femmes. Des femmes aux destins divers et aux souffrances multiples certes, mais des femmes, qui toutes sont unies par leur soumission au patriarcat et à ses chaînes. 

En parallèle, c’est également le combat personnel d’une jeune femme lesbienne que Silvia Munt met en scène. Dans le film, la mère de Béa travaille pour une famille très bourgeoise, en tant que « femme à tout faire ». Elle se rend tous les jours chez elleux, dans cette grande maison administrée par la grand-mère, afin d’y accomplir diverses tâches ménagères et il arrive même parfois que Béa lui prête main forte. C’est de cette façon qu’elle rencontre alors Miren, la fille unique de cette famille apparemment très croyante, du même âge qu’elle. Au fur et à mesure, alors que Béa alterne entre sa vie militante et le travail de sa mère, les deux jeunes femmes se croisent, se remarquent, se cherchent et finissent par s’apprivoiser. Une complicité naît qui se transforme très vite en un attachement inconditionnel de l’une pour l’autre. Ici, la passion ne se résume pas à l’attraction d’une femme pour une autre. Au contraire, elle est bien plus intense et sincère, car elle est celle d’une humaine à part entière pour sa semblable. D’emblée, on suit l’évolution de cet amour comme un procédé purement naturel, en oubliant presque qu’il s’agit d’une relation lesbienne, « contre-nature » pour l’époque. Grâce au talent exceptionnel de l’actrice principale Alícia Falcó, le personnage de Béa lui-même ne semble pas conscient du caractère « anormal » de sa relation. Puis la réalité revient au galop. Miren lui apprend qu’elle est enceinte et que ses parents lui ont orchestré un avortement à Londres afin de pouvoir se fiancer ensuite à un homme convenable, dûment choisi. Surprise ! L’oppression des femmes n’est pas qu’un problème des classes les plus modestes.

Lorsque le film se termine, les spectateur.rice.s ne sont pas indifférent.e.s. Différentes émotions subsistent, mais celle que l’on retient, c’est la tendresse. Car bien qu’il traite de sujets pesants, le film de Silvia Munt est, du début à la fin, marqué par une certaine douceur. Le choix des musiques ainsi que la photographie apportent en effet une ambiance apaisante. Les plans sont souvent fixes, et le cadrage très rapproché. On entre dans l’intimité mélancolique de tous ces personnages et de leurs souffrances, ce qui finit par nous attendrir. 

Avec Las Buenas Companias, Silvia Munt réalise un tour de force. Elle nous offre le récit d’un combat : celui du droit à l’avortement, celui de la liberté sexuelle et plus généralement, celui de l’émancipation des femmes. Par ce combat, elle laisse entendre qu’il ne faut jamais abandonner, que la jeunesse doit se servir de sa fougue et de son courage, qu’il faut continuer à se battre. Il est évidemment très facile de transposer ce film, ce combat, à notre réalité où la liberté des femmes est sans cesse mise à l’épreuve. Le parallèle avec l’actualité et la décision de la cour suprême américaine concernant le droit à l’avortement est alors plus qu’évident. Mais Silvia Munt nous offre également le récit de l’amour : celui de l’amour pur, de l’amour en tant que sentiment humain et celui de l’amour maternel. Les actrices sont aussi touchantes que les intrigues qui les lient, et nous transmettent des émotions intenses qui nous donnent envie de se battre, cette fois-ci pour l’amour. Le tout méticuleusement dirigé par la poésie de la réalisatrice nous transporte. En regardant Las Buenas Companias, on s’évade comme on se rapproche un peu plus de la réalité. 

Las Buenas Compañias, Silvia Munt, 2023.

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