Nous vivons dans une société du clic. Une information en chasse une autre, certaines choquent et marquent, font les Unes pendant plusieurs semaines, comme la guerre d’invasion que la Russie mène actuellement en Ukraine. D’autres ont moins de chance et se retrouvent peu, voire pas du tout abordées par les médias occidentaux. Pour autant, le XXIe siècle connaît de multiples conflits qui méritent autant de considération les uns que les autres. 

La guerre en Syrie a été au cœur de l’information pendant plusieurs années, notamment, car les Européen.ne.s se sont senti.e.s directement impacté.e.s avec l’arrivée de millions de réfugié.e.s Syrien.ne.s et son pic en 2015. Nous connaissons les grandes lignes du conflit, son origine : le régime répressif de Bachar Al-Assad ; la révolution échouée du peuple syrien, en particulier de sa jeunesse en 2011 pour plus de démocratie et de libertés ; mais également, en parallèle, la montée en puissance de l’État islamique et son entrée en tant que belligérant dans le conflit. On connait aussi les crimes de guerre commis par le régime et ses alliés comme la Russie de Poutine : le bombardement des villes, l’usage de l’arme chimique, du viol comme arme de guerre, etc.

D’autres événements, pourtant pas moins tragiques, n’ont pas le droit à la Une ou à une émission spéciale. Ils se retrouvent dans un paragraphe en fin d’article ou totalement omis de la chronologie de l’Histoire. C’est le cas du siège du camp de Yarmouk. On aurait pu totalement l’oublier, jamais cité dans les dates et événements clés de la guerre en Syrie. Abdallah Al-Khatib a refusé cette fatalité en présentant Little Palestine. Journal d’un siège. Il s’agit d’un film documentaire de 90 minutes réalisé à partir de cinq cents heures de rushs montrant le quotidien des habitant.e.s pendant ce siège, nous montrant une réalité oubliée et difficilement imaginable pour nous. 

Le camp de Yarmouk

Yarmouk (اليرموك) se situe à 8 kilomètres au sud de Damas en Syrie. Ce camp de réfugié.e.s palestinien.ne.s a été bâti en 1957. Le camp est rapidement devenu un quartier, puis une ville, où cohabitent familles palestiniennes et syriennes. Au début du XXIe siècle, la ville compte quatre hôpitaux, plusieurs établissements scolaires, dont vingt écoles élémentaires gérées par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugié.e.s de Palestine dans le Proche-Orient). En Juin 2002, 112 550 réfugié.e.s recensé.e.s vivent à Yarmouk. Jusqu’au début de la guerre civile, il s’agissait du plus grand camp de réfugié.e.s palestinien.ne.s au monde. 

La ville n’était pas officiellement reconnue comme un camp de réfugié.e.s bien que les panneaux indiquaient « Mukhayyam al-Yarmouk », signifiant « camp de Yarmouk ». Yarmouk était loin de l’image que l’on peut avoir d’un camp de réfugié.e.s. En effet, dans un article, la BBC indique qu’il n’y a « pas de tentes ou de bidonvilles en vue. C’est un quartier résidentiel avec des salons de beauté et des cafés Internet »1.

La vie de siège

Après l’éclatement de la Révolution en 2011, un nombre important des cent soixante mille habitant.e.s de Yarmouk participe aux manifestations contre le gouvernement de Bachar Al-Assad. Cette forte mobilisation va être utilisée comme prétexte par le pouvoir syrien pour bombarder la ville. Celle-ci a été la scène d’affrontements entre l’Armée de Libération Syrienne et les forces armées du gouvernement syrien dès 2012. La ville est assiégée entre 2013 et 2015 (comme d’autres villes de la banlieue de Damas, dont Daraya ou la Ghouta). La ville s’est vidée peu à peu de ses habitant.e.s, et en 2014, la population s’élevait à 20 000 personnes. Pendant ce siège, 181 personnes sont mort.e.s de faim.

Distributions humanitaires dans le camp de Yarmouk par l’UNRWA, le 31 janvier 2014 (UNRWA/Getty images)

Abdallah Al-Khatib, 23 ans, emprunte une caméra à un ami et commence à filmer la vie pendant le siège pour témoigner de la situation et de la famine organisée par le gouvernement syrien. Deux années durant, il accumule les images, les interviews, les visites, aux côtés de sa mère, infirmière au sein du camp. À travers sa caméra, on découvre leur quotidien, les difficultés à trouver de la nourriture, des médicaments, mais également la résistance et l’espoir des habitant.e.s. Little Palestine raconte cette lutte quotidienne d’un peuple défendant ces deux kilomètres carrés de terrain et le droit de vivre en communauté. Ce documentaire montre aussi des parcours de vie, de personnes ayant quitté la Palestine en 1948 lors de la création d’Israël et qui se retrouvent, plus de soixante ans plus tard, encore sous les bombes et dans une ville assiégée.

La fin du siège

En avril 2015, des groupes de l’État islamique battent l’Armée de Libération Syrienne et s’emparent d’une grande partie de la ville. Après quelques jours, les milices du Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG) et d’autres milices palestiniennes reprennent quelques zones de la ville. En 2017-2018, le gouvernement syrien débute une contre-offensive et le 19 mai 2018, le gouvernement syrien reprend le contrôle total de la ville. Après six années de combats, le quartier de Yarmouk est totalement en ruine. En 2017, on estimait qu’il restait environ 6 000 habitant.e.s dans le camp.

En découvrant Little Palestine, on pense forcément à Pour Sama de Waad al-Kateab et Edward Watts, sorti en 2019, qui est un documentaire sur le quotidien à Alep pendant cette même guerre. Ces deux films, d’une grande complémentarité, nous permettent de comprendre comment ces personnes se sont organisées pour vivre et survivre dans un pays déchiré par la guerre. Ces films sont importants. Pour l’Histoire, pour la mémoire, pour ne pas oublier, pour condamner et pour espérer ne pas reproduire. 

Little Palestine, journal d’un siège (Little Palestine, Diary of a Siege) réalisé par Abdallah Al-Khatib, 2021.

Références

HAYEK, C. & WASSERMANN, L. (2018). Le Yarmouk ou l’histoire de la tragédie palestinienne en Syrie. L’Orient Le Jour. 1 may 2018. Online. Available at: https://www.lorientlejour.com/article/1113189/le-yarmouk-ou-lhistoire-de-la-tragedie-palestinienne-en-syrie.html 

Sherwood, H. (2014). Queue for food in Syria’s Yarmouk camp shows desperation of refugees. The Guardian. 26 Feb. 2014. Online. Available at: https://www.theguardian.com/world/2014/feb/26/queue-food-syria-yarmouk-camp-desperation-refugees

BBC News. (2015). « IS militants ‘enter Yarmouk refugee camp’ in Syrian capital ». April 1, 2015. Online, Available at: https://www.bbc.com/news/world-middle-east-32147888 

Amnesty International (2014). Syrie. Yarmouk assiégé : l’horreur des crimes de guerre, de la famine et de la mort. 10 march 2014. Online. Available at: https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2014/03/syria-yarmouk-under-siege-horror-story-war-crimes-starvation-and-death/

References
1 is identified as a camp, there are no tents or slums in sight. It is a residential area with beauty salons and internet cafes“, BBC News, (2015). « IS militants ‘enter Yarmouk refugee camp’ in Syrian capital ». April 1, 2015. Online, Available at: https://www.bbc.com/news/world-middle-east-32147888

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