La Conférence mondiale sur les politiques culturelles de Mexico (1982) définit la culture comme « l’ensemble des traits distinctifs spirituels, matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle comprend non seulement les arts et les lettres, mais aussi les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». Chaque groupe a ses propres pratiques culturelles et croyances, certaines sont bénéfiques pour tou.te.s les membres, d’autres peuvent être menaçantes pour certaines minorités. La culture est une question essentielle lorsqu’on parle de droits humains. Les traditions et les croyances culturelles peuvent entrer en conflit avec certains traités internationaux et la promotion de certaines valeurs et peuvent être plus fortes que les lois pour certains peuples.

Le projet des droits humains, repris dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, aspire à être « universel ». Cependant, certain.e.s universitaires et activistes ne sont pas en accord avec ce postulat. Par exemple, selon Makau Mutua, les droits humains expriment les valeurs occidentales et sont proches de l’impérialisme, reflétant une idéologie culturellement biaisée, liée au projet colonial eurocentré, comme une continuité de la mission civilisatrice poursuivie dans le passé (Mutua, M. (2001). Savages, Victims, and Saviors : The Metaphor of Human Rights. Harvard International Law Journal, vol. 42, n° 1, p. 201-245). Comme l’universalité n’est pas facile à obtenir et peut être considérée davantage comme un objectif qu’une réalité, il est important, bien que complexe, de prendre en compte la pluralité des identités pour tenter de promouvoir les droits humains au niveau mondial. La culture peut également être un obstacle dans le sens où elle demande plus de temps pour le déploiement du respect de certains droits fondamentaux et donne des arguments aux personnes qui ne veulent pas améliorer le respect de certains de ces droits et libertés.

Toutes les communautés ont une identité et des valeurs spécifiques, en partie bénéfiques pour tous les individu.e.s, mais aussi, dans certains cas, néfastes pour certaines minorités, comme les femmes. Les mutilations génitales féminines, les mariages précoces, le contrôle de la fertilité, les crimes d’honneur, les infanticides féminins, sont autant d’exemples de la pression exercée sur les femmes, liée aux cultures traditionnelles de certains peuples et religions (OHCHR (1995). Harmful Traditional Practices Affecting the Health of Women and Children Fact Sheet No 23. Ohchr.org). La plupart des sociétés dans le monde sont « patriarcales » dans le sens où le pouvoir est dominé par les hommes dans la société et dans les relations individuelles. Ces cultures patriarcales sont des obstacles au respect et à la promotion des droits humains, et en particulier des droits des femmes. La culture peut être utilisée pour justifier la violence et les inégalités entre les genres, en évoquant les croyances et pratiques traditionnelles (UNFPA (2010). Promoting Human Rights Across Cultures. Unfpa.org). La culture influence la façon dont la violence de genre est perçue dans la société patriarcale : elle est minimisée, voire ignorée. Les discriminations et les violences à l’égard des femmes sont illégales dans de nombreux pays, et pourtant elles persistent. Elles persistent parce qu’elles sont profondément enracinées dans certaines cultures (Schalkwyk, J. (2000). Questions about culture, gender equality and development cooperation. Canadian International Development Agency, Gender Equality Division).

Si l’on prend l’exemple de l’Afrique, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique sont deux textes qui luttent contre la discrimination et protègent l’égalité entre les genres. De plus, chaque État africain est partie à au moins un traité international interdisant la discrimination fondée sur le genre ou favorisant l’égalité entre les genres (Ssenyonjo, M. (2007). Culture and the Human Rights of Women in Africa: Between Light and Shadow. Journal of African Law, Vol.51, No. 1, pp. 39-67). Cependant, des pratiques traditionnelles néfastes existent encore dans les États africains, notamment la pratique des mutilations génitales féminines, la scarification et le meurtre rituel des enfants, les châtiments corporels, l’acceptation de la violence domestique envers les femmes, les mariages forcés et/ou précoces ou la polygamie. De nombreuses lois coutumières discriminent les femmes dans les domaines de l’héritage, du mariage et du divorce. En outre, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples met l’accent sur les valeurs et les traditions africaines traditionnelles sans aborder de nombreuses pratiques coutumières pourtant dangereuses pour les femmes. En ignorant des questions cruciales comme le mariage, la Charte ne parvient pas à protéger les droits humains des femmes (Ssenyonjo, 2007).

Le mariage forcé et la polygamie sont encore des pratiques courantes dans certaines régions d’Afrique (Cf. Patience, soumission, rivalité : le destin forcé des femmes du Sahel). Cela montre que les traditions culturelles peuvent être un obstacle à la promotion des droits humains. Selon le Comité des droits de l’Homme, la polygamie est discriminatoire envers les femmes et porte atteinte à leur dignité (Ssenyonjo, 2007). Le Protocole sur les droits des femmes africaines est censé interdire la discrimination à leur égard et garantir le droit des femmes à la dignité. L’article 2(1) reconnaît que « les États parties combattent toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes par des mesures législatives, institutionnelles et autres appropriées », et selon l’article 2(2), « les États parties s’engagent à modifier les schémas de comportement socioculturel des femmes et des hommes par des stratégies d’éducation publique, d’information, d’éducation et de communication, en vue de parvenir à l’élimination des pratiques culturelles et traditionnelles néfastes et de toutes les autres pratiques qui sont fondées sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe, ou d’un rôle stéréotypé des femmes et des hommes ». Aux termes du protocole, la polygamie n’est pas considérée comme l’une des pratiques portant atteinte à la dignité des femmes et les États parties au protocole doivent uniquement « encourager » la monogamie. Cela s’explique par le fait que « la charia et de nombreux systèmes de droit personnel coutumier reconnaissent le droit des hommes à épouser plus d’une femme » (Ssenyonjo, 2007). On voit donc ici l’influence négative qu’une culture traditionnelle peut avoir sur le respect des droits humains dans certains États.

Par ailleurs, chaque année, plus de douze millions de filles sont mariées de force selon Plan International, un mariage forcé sur cinq ayant lieu avant le 18e anniversaire de la fille. Ces filles se voient voler leur droit à l’enfance et à l’éducation. L’interdiction du mariage forcé est pourtant présente dans l’article 16(2) de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui reconnaît que « le mariage ne peut être contracté qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux ».

Malgré un large éventail d’instruments de droits humains protégeant les droits fondamentaux des femmes africaines, ces droits sont loin d’être tous respectés. La culture a donc des effets négatifs concrets sur l’essor des droits des femmes.

Comme le montre la progression des droits des femmes en Afrique, le droit ne suffit pas, car la culture a une influence considérable sur les valeurs et les comportements des peuples. La loi est nécessaire, mais elle doit aussi être soutenue par des efforts de mise en application. Les droits humains doivent être promus dans le contexte des individu.e.s, des familles et des communautés au niveau local. Le changement ne peut être imposé de l’extérieur. Les principes des droits humains, pour être acceptés et respectés, doivent être intériorisés par les communautés et les individu.e.s. Le dialogue entre les différent.e.s acteur.rice.s, gouvernements, organisations internationales, ONG, défenseur.se.s des droits humains, etc., est donc essentiel. Le changement peut également se faire grâce à l’éducation, pour déconstruire les stéréotypes et encourager les individu.e.s à prendre conscience de leurs valeurs et des droits qu’ils devraient avoir. 

Pour finir, il est important de rappeler que les cultures et les religions partagent des dénominateurs communs avec certaines normes universelles : l’égalité humaine, la tolérance. Par conséquent, la culture n’est pas nécessairement un obstacle aux droits humains, elle pourrait même être un outil pour leur compréhension et leur promotion…

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