« Notre numéro de sécurité sociale commence par le chiffre deux. Celui des hommes par le chiffre un. Ce n’est évidemment pas un hasard. Nous restons reléguées au second rang, inessentielles derrière les essentiels. »
C’est ce que disait Gisèle Halimi, des propos repris dans le roman Une farouche liberté par la journaliste Annick Cojean, publié le 19 août 2020. Ce roman, publié à titre posthume, reprend les principes qui ont animé Gisèle Halimi toute sa vie et est un appel à la relève pour la lutte pour l’égalité entre les genres.
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Une enfance rebelle
Née le 27 juillet 1927 à La Goulette en Tunisie, Gisèle Halimi est issue d’une famille pauvre, juive et dominée par le patriarcat. Dès son enfance, elle lutte contre ce contrôle religieux et patriarcal. À 10 ans, elle entame une grève de la faim pour le droit à la lecture et aux études, ou encore refuse d’embrasser la mezouza avant de rentrer en classe. Elle refuse à 16 ans un mariage arrangé et part à Paris faire des études de droit, pour devenir avocate en 1949.
Les premiers pas d’avocate de Gisèle Halimi
Ces premiers procès visent à défendre les indépendantistes algérien.ne.s et tunisien.ne.s. Elle défend notamment en 1960 la militante Djamila Boupacha, torturée et violée par des militaires français. Elle signe la même année, avec Jean-Paul Sartre le « Manifeste des 121 » (ou la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie»).
Une figure du féminisme français
Gisèle Halimi consacre sa vie à la cause des femmes. Ses combats mèneront à de nombreuses évolutions en droit français, notamment sur la notion du consentement et l’approfondissement de la définition du viol.
Le film Le Viol de Alain Tasma, sorti en 2017, reprend justement un procès emblématique de Gisèle Halimi.
L’affaire débute en 1974, quand deux femmes portent plainte contre trois hommes pour viol. Anne Tonglet et Araceli Castellano, deux jeunes touristes belges, homosexuelles et adeptes du naturisme, ont été violées et battues pendant cinq heures sur une plage des calanques marseillaises. Ces jeunes femmes ont été humiliées et discréditées par la police, les médecins et la procureure qui prend leurs dépositions. Par ailleurs, leurs avocates les préviennent que ce procès pour viol a très peu de chance de passer devant la cour d’assises (pour être jugé comme un crime), puisque la plupart des procès pour viols sont requalifiés comme « coups et blessures » et passent devant le tribunal correctionnel.
Gisèle Halimi, qui reprend la défense des deux jeunes femmes, réussit à faire déclarer le tribunal correctionnel comme étant en incapacité de juger l’affaire et le procès arrive devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Ce procès prend une tournure médiatique importante ; Gisèle Halimi a la volonté de faire évoluer la conception juridique française du viol, qui n’a pas été modifiée depuis 1810. La notion du consentement est également au cœur du débat. Finalement, deux des hommes sont condamnés à quatre ans de prison et le meneur à six ans de réclusion criminelle.
C’est une véritable avancée pour la cause des femmes. Gisèle Halimi et sa collaboratrice Agnès Fichot continuent à défendre des femmes portant plainte pour viol, qui sont de plus en plus nombreuses. En effet, ce procès a permis à un plus grand nombre de femmes de parler et de dénoncer leurs violeurs. La loi contre le viol évolue en 1980, le viol est désormais défini comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise », est reconnu comme un crime et puni à un maximum de quinze ans de réclusion criminelle.
Une autre cause défendue par Gisèle Halimi est le droit à l’avortement. Elle est d’ailleurs la seule avocate à avoir signé en 1971 « Le manifeste des 343 », plus connus sous le nom des « 343 salopes », qui demande la dépénalisation et la légalisation de l’avortement. Il a été signé par des femmes qui ont avorté et qui en signant s’exposaient à des poursuites pénales.
Un autre de ses procès les plus célèbres est le procès de Bobigny, ouvert en 1972. Gisèle Halimi défend une jeune femme mineure, qui a avorté après un viol, et quatre autres femmes, dont sa mère, pour complicité ou pratique de l’avortement.
Marie-Claire Chevalier tombe enceinte après avoir été violée par un garçon de son lycée. Celui-ci est retrouvé par la police et dénonce Marie-Claire d’avortement pour être laissé tranquille. Les femmes mises en examen demandent à Gisèle Halimi de les défendre. Celle-ci, avec Simone de Beauvoir, présidente de l’association Choisir, décident de faire un procès politique à l’avortement. Elles luttent contre la loi liberticide de 1920 qui interdit l’avortement et la contraception (de nouveau autorisée par la loi Neuwirth en 1967). De nombreuses personnalités publiques telles que Michel Rocard, Simone de Beauvoir ou encore les prix Nobel et biologistes Jacques Monod et François Jacob défendent Marie-Claire et les autres femmes inculpées. Marie-Claire, mineure, passe seule devant le tribunal pour enfants de Bobigny le 11 octobre 1972 et est relaxée.
Les femmes majeures sont jugées le 8 novembre suivant. La mère de Marie-Claire est condamnée à 500 francs d’amende avec sursis. Elle fait appel mais « le ministère public a volontairement laissé passer le délai de 3 ans sans fixer l’affaire à l’audience de la cour d’appel, ce qui entraîne la prescription. Elle n’a donc jamais été condamnée. » (Gisèle Halimi, La Cause des femmes, Paris, Grasset, coll. « Enjeux », 1973). Deux autres femmes sont relaxées, et celle qui a pratiqué l’avortement est condamnée à un an de prison avec sursis et une amende.Â
Ce procès est un tournant, puisqu’il a fortement contribué à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En effet, la loi Veil, légalisant et encadrant l’IVG, est adoptée en 1975.
Une lutte qui continue
Gisèle Halimi est décédée le 28 juillet 2020 à Paris. Le roman Une farouche Liberté témoigne de ses luttes et des principes féministes qui ont animé sa vie. Principes féministes qui se perpétuent, malgré le décès de cette figure emblématique du féminisme français. Car les luttes ne sont pas finies, loin de là . Le droit à l’avortement est tous les jours remis en question (en témoignent les lois de plus en plus restrictives adoptées un peu partout dans le monde, comme aux États-Unis, ou au Brésil, voir l’article : CANDELLIER, C. CHAPOT, M. COTTAIS, C. GIRARD, I. (2020). Droit à l’avortement dans le monde : un combat loin d’être gagné. Generation for Rights Over the World. growthinktank.org. [online] 28 Sept. 2020). Quant aux viols, seulement 10% des victimes portent plainte, et 10% de ces plaintes finissent en cour d’assises.
Le refus du port du voile
Bien que Gisèle Halimi soit une figure du féminisme et a un parcours des plus honorables, GROW ne la rejoint pas sur sa position sur le port du voile. Elle considère que la lutte féministe rentre en contradiction avec l’Islam, le port du voile rentrant, selon elle, en contradiction avec la dignité de la femme. Elle disait en 1989 : « Avec le tchador les jeunes filles sont sous le joug patriarcal, pater familias des tribus arabes et elles se sont réveillées sous le joug de ces pères manipulés par des fanatiques musulmans. Le tchador n’est pas seulement religieux, c’est politique (…) et c’est tout de même le symbole de la soumission et de l’infériorisation de la femme. Les femmes ont le droit à ne pas se cacher, à ne pas accepter la polygamie, à ne pas accepter d’être répudiées » (interview donnée par Gisèle Halimi dans « Soir 3 », sur France 3 le 2 novembre 1989). Les femmes seraient donc emprisonnées quand les hommes vivent dans un monde libre.
GROW considère cependant que porter le voile relève d’un choix, et non d’une imposition, un choix tout à fait respectable. Cette décision peut être le résultat d’une profonde réflexion personnelle et spirituelle. Pour plus d’informations allant dans ce sens, nous vous invitons à aller voir l’article de Shérine Maameri, « Pourquoi j’ai décidé de porter le voile ».