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CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Au vu des différents éléments mis en lumière dans ce rapport, toute action unilatérale comme celle des États-Unis jusqu’ici, de même que le recours au droit international dans l’immédiat, sont inefficaces pour faire pression sur la Chine. La diplomatie déclaratoire de l’Union Européenne, elle aussi, s’essouffle et semble avoir usé de tous ses leviers disponibles, en vain. Or, le sort des Ouïghour.e.s et des autres minorités subissant les politiques génocidaires des autorités chinoises incombe à la communauté internationale la formulation d’une solution dans l’urgence. Compte tenu des difficultés rencontrées pour amener la Chine à mettre fin à sa politique coercitive dans le Xinjiang, l’approche multilatérale par des sanctions économiques semble être l’unique solution disponible à ce jour et qui puisse obtenir des résultats. Le « génocide culturel » dont sont victimes les Ouïghour.e.s est la responsabilité de tou.te.s, dirigeant.e.s, multinationales, médias et consommateur.rice.s. Afin de maximiser le succès d’un tel règlement diplomatique, nous formulons des recommandations destinées à chacun.e.s de ces acteur.rice.s.

Recommandations aux institutions internationales

La communauté internationale devrait être en première ligne pour exhorter la Chine à mettre en place des mécanismes dans le but de faire respecter les libertés fondamentales et les droits humains universels dans la Région Autonome Ouïghoure du Xinjiang.

  • Le Haut Commissariat pour les Droits de l’Homme (HCDH) et les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales sont encouragé.e.s à réitérer continuellement la demande de libération immédiate et sans conditions des détenu.e.s, enfermé.e.s contre leur volonté ;
  • Le Bureau des Nations unies pour la prévention du génocide et la responsabilité de protéger devrait surveiller de près l’évolution de la situation au Xinjiang et alerter le Secrétaire général sur la commission de crimes contre l’humanité ;
  • Le Conseil des Droits de l’Homme, auquel siège la Chine, devrait exhorter cette dernière à respecter et faire respecter les droits humains de tou.te.s sur son territoire et à autoriser la venue d’observateur.rice.s indépendant.e.s des Nations unies au Xinjiang pour faire état de l’ampleur des violations des droits humains ;
  • Il est important que les États membres de l’ONU, au regard du droit international dont ils se sont engagés à promouvoir le respect, ainsi que les organisations internationales de la société civile, poursuivent leur mission de sensibilisation sur les mauvais traitements dont sont victimes les minorités musulmanes dans le Xinjiang, tout en poussant la Chine à mettre fin à toutes violations de leurs libertés et droits fondamentaux.ales ;
  • Enfin, l’impartialité et la neutralité doivent être les maîtres-mots au sein des institutions internationales qui doivent absolument garantir une transparence totale de leurs procédures et se protéger des ingérences de quelque pays que ce soit.

Recommandations générales aux gouvernements

  • Les gouvernements devraient davantage adopter une approche multilatérale. Les pays s’opposant aux actions des autorités chinoises doivent créer des alliances pour que le sujet du Xinjiang figure à l’ordre du jour des organes compétents des Nations unies, et utiliser les procédures de ces institutions pour traiter de manière cohérente et factuelle les violations des obligations internationales par la Chine ;
  • Procéder à une uniformisation des mesures prises à l’encontre de la Chine, au sein des législations nationales de chaque pays s’opposant à ses activités concernant le sort des Ouïghour.e.s. Dans cette perspective, il appartient aux États d’identifier les secteurs économiques stratégiques dans lesquels mettre en place des sanctions économiques contraignantes. Ces secteurs peuvent être spécifiques selon les secteurs d’importations chinoises de chacun.e.s de ces pays/aires géographiques ;
  • Il faut que la directive sur le devoir de vigilance adoptée par le Parlement Européen encourage d’autres pays à adopter des dispositions similaires contre le dumping social et le travail forcé, et pousse les entreprises à garantir une transparence vis-à-vis de leurs chaînes d’approvisionnements. Les gouvernements pourraient aussi concevoir des sanctions à sévérité variable pour les entreprises complices des politiques de détention et de surveillance des populations musulmanes du Xinjiang ;
  • Les pays demeurés neutres doivent prendre position à minima en soutenant la demande d’envoi d’expert.e.s dans le Xinjiang ;
  • Les 27 pays ayant signé la déclaration prononcée par l’ambassadeur du Royaume Uni à Genève au nom de ces pays en juin 2020 appelant la Chine à coopérer, devraient se coordonner afin de placer le sujet du Xinjiang en tête de l’ordre du jour des organes compétents des Nations unies, et utiliser ces organes et leurs mécanismes pour traiter les violations des obligations internationales de la Chine de manière cohérente et factuelle. À ce titre, ces pays doivent réitérer une demande d’enquêtes dans la région du Xinjiang afin de recueillir des preuves qui pourraient mener à la conclusion qu’un génocide est en cours. Le principe de la responsabilité de protéger pourrait alors éventuellement être invoqué ;
  • Contribuer à mettre la question des Ouïghour.e.s à l’ordre du jour du G7 et d’autres forums internationaux pertinents avec des pays partageant les mêmes idées et faire de l’égalité de traitement des minorités ethniques et des populations religieuses un point de discussion dans les réunions bilatérales. Cela doit notamment être le cas lorsque le sujet de la Nouvelle Route de la Soie de la Chine est sur la table des négociations, en insistant sur le fait que la coopération économique et commerciale dépend du respect de certaines normes ;
  • Compte tenu de leur influence diplomatique, les pays à majorité musulmane devraient exprimer leur opposition à la violation du droit de tou.te.s les musulman.e.s à la liberté d’expression culturelle et d’observance religieuse et exhorter la Chine de mettre fin aux programmes de « transformation par l’éducation » et de détention de masse au même titre que les autres Etats ;
  • Les gouvernements devraient mettre en place et intensifier, lorsqu’il existe, le partage d’informations sur la situation au Xinjiang et accroître la coopération des réseaux diplomatiques en matière de renseignement avec d’autres démocraties libérales ;
  • Les ministères ou départements des Affaires étrangères devraient exhorter les ambassades et les consulats chinois à solutionner le problème du refus de délivrance de papiers d’identité et à suivre les demandes de preuve de vie d’individu.e.s Ouïghour.e.s ;
  • Pour garantir l’accès au Xinjiang aux journalistes ressortissant.e.s des pays opposés à la politique coercitive chinoise, les ministères ou départements en charge des Affaires étrangères pourraient envisager de demander la réciprocité des visas pour les journalistes nationaux en Chine en échange de l’accès déjà acté des journalistes chinois sur le territoire national ;
  • Les ministères ou départements des Affaires étrangères devraient avertir les citoyen.ne.s et résident.e.s d’origine ouïghoure sur les risques de voyager en Chine ;
  • Offrir l’asile politique aux réfugié.e.s ouïghour.e.s sans condition et mettre un place un système de suivi afin de freiner les actions des ambassades chinoises à l’étranger et ainsi éviter le rapatriement de Ouïghour.e.s ;
  • Au niveau national, les autorités compétentes dans le domaine de la migration devraient entreprendre de manière proactive l’évaluation du besoin de fonds afin de favoriser l’accès à l’aide juridique et psychologique ;
  • Enfin, pour espérer que ces mesures agissent comme leviers contraignants sur la Chine, il est nécessaire que ces pays agissent en qualité d’autorité légitime. Pour cela, les différents pays alliés se doivent de donner l’exemple à la Chine en condamnant les violations des droits humains qui persistent sur leur propre territoire.

Recommandations spécifiques au gouvernement américain

Les États-Unis sont les premiers à avoir adopté des mesures concrètes à l’égard de la Chine et des responsables politiques de ce génocide dans un objectif de contraindre la Chine. À ce titre, le pays occupe une place prépondérante dans la condamnation des actions de Beijing. Les relations tendues entre les deux pays, et le jeu unilatéral adopté par l’administration Trump ont cependant rendu stériles toutes tentatives de coercition efficaces. L’élection de Joe Biden à la maison blanche élargit les perspectives de résolutions. 

  • Les États-Unis se doivent de retrouver la légitimité et la place qu’ils occupaient sur la scène internationale avant le mandat protectionniste et unilatéraliste de Donald Trump, afin de pouvoir prétendre contraindre la Chine. Pour ce faire, les États-Unis devraient continuer à confirmer la volonté d’un retour au multilatéralisme américain en adhérant aux traités multilatéraux abandonnés sous l’administration précédente, comme la réadhésion aux accords de Paris sur le climat au premier jour de la présidence Biden ; 
  • L’administration Biden devrait également signer la loi sur la prévention du travail ouïghour, adoptée à la Chambre en septembre 2020 ;
  • Afin de garantir que les mesures prises contre la Chine ne soient pas interprétées comme s’inscrivant dans un contexte d’escalade de tension dans la guerre économique entre les deux puissances, les États-Unis doivent rétablir des liens diplomatiques cohérents avec la République Populaire de Chine dans les domaines où ils ont un intérêt à le faire. De cette manière, les condamnations et sanctions pour violations des droits humains paraîtront objectives et désintéressées. 

Recommandations spécifiques à l’Union européenne et aux gouvernements des pays membres

L’approche diplomatique de l’Union européenne est jusqu’ici restée cantonnée en très grande partie à de la diplomatie déclaratoire. La parole des gouvernements des pays membres se libère timidement. Or, si l’UE semble prête à actionner des mécanismes de sanctions, il est important de rappeler que la politique étrangère est avant tout une prérogative des États. Il est maintenant nécessaire que tous les pays membres condamnent publiquement les faits se déroulant dans le Xinjiang. Ces États devraient individuellement appliquer les mesures susmentionnées dans les recommandations aux gouvernements et collectivement faire en sorte que l’UE se dote de mesures concrètes venant cristalliser les multiples déclarations.

Recommandations spécifiques à la Chine

  • Mettre fin immédiatement aux violations généralisées des droits humains et des libertés fondamentales dans le Xinjiang, y compris la privation arbitraire de liberté des minorités musulman.e.s. La Chine doit assumer la responsabilité principale de protéger chacun.e, indépendamment de ses croyances religieuses ou de son identité ethnique ;
  • Abolir le règlement sur la désextrémisation comme l’ont demandé de nombreux groupes de travail et rapporteur.se.s spéciaux.les, notamment celleux sur la défense des libertés fondamentales, la promotion des droits humains et les questions relatives aux minorités ;
  • Répondre activement aux demandes réitérées des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales des Nations unies au sujet de l’organisation d’une visite officielle en Chine. Accepter l’assistance technique et les suggestions pour garantir que les lois et pratiques chinoises dans le domaine de la sécurité nationale, de la lutte contre la corruption et du terrorisme respectent les obligations que la Chine s’est imposée au nom du droit international, y compris le droit du défendeur à une procédure régulière, le droit de choisir son avocat.e, et le droit à un procès équitable et ouvert par un tribunal indépendant ;
  • Rendre compte d’enquêtes justes et crédibles sur les allégations d’abus, de torture et de mauvais traitements de détenu.e.s au Xinjiang et prendre les mesures appropriées pour garantir justice et indemnisation aux victimes.

Recommandations aux entreprises

Il est important que les entreprises, quelles que soient leur taille et leur capital, garantissent une transparence totale vis-à-vis des consommateur.rice.s et des actionnaires.

  • Les entreprises ayant connaissance de l’implication de près ou de loin d’un de ses sous-traitants dans la répression du peuple ouïghour devraient cesser immédiatement leurs relations commerciales avec ce dernier ;
  • Les pays dotés d’une loi sur le devoir de vigilance devraient appliquer cette loi en vérifiant la chaîne de sous-traitance de toutes les entreprises ou groupes concernés ;
  • Dans la mesure où l’entreprise prend des engagements relatifs à la cessation d’activité dans le Xinjiang ou à la sous-traitance d’entreprises ayant recours au travail forcé des Ouïghour.e.s, celle-ci devrait le prouver factuellement, afin d’exprimer publiquement sa volonté d’évoluer vers une conduite plus éthique de ses affaires ;
  • Les entreprises devraient s’assurer que les salarié.e.s intervenant tout au long de leur chaîne de production se voient garantir des droits en accord avec les normes de travail internationales, en termes de rémunération ou conditions de travail notamment ;
  • Les entreprises devraient mettre fin aux incitations à la consommation par les prix hors période de soldes, ou de déstockage.

Recommandations aux médias

Les médias ont un rôle primordial de relai d’informations. Ils devraient informer les populations et investiguer sur les violations des droits humains commises par le gouvernement chinois.

  • Il est nécessaire que les médias nationaux et locaux dépassent la loi du mort kilomètre et portent ce génocide à la connaissance du grand public afin d’éveiller les consciences. Dans cette perspective, il conviendrait d’adapter la problématique, la nationaliser puis la divulguer à des échelles plus locales, permettant une meilleure considération de l’enjeu par ces populations ;
  • Les médias devraient demeurer vigilants vis-à-vis de leurs sources de financements afin de respecter la neutralité éthique du journalisme et de ne pas voir sa ligne éditoriale influencée ;
  • Il est essentiel que les médias suivent la déontologie du journalisme, et respectent ses piliers normatifs, notamment celui relatif à la recherche constante de la vérité.

Recommandations aux consommateur.rice.s

  • Les consommateur.rice.s devraient vérifier la provenance des biens achetés dans le but de lutter contre la reproduction du système du travail forcé. Cette vérification peut être facilitée par la mise en place d’une politique de transparence totale de la part des multinationales concernant la provenance des matières premières, le financement des chaînes de production ainsi que la main d’œuvre employée ;
  • Il convient que les consommateur.rice.s évitent la surconsommation, que ce soit via des achats en ligne ou en magasins, notamment en période de soldes ;
  • Les consommateur.rice.s devraient davantage se tourner vers des achats de seconde main, en utilisant des initiatives d’économie sociale et solidaire telles que Vinted, Vestiaire Collective, Leboncoin, Depop, etc. (liste non exhaustive), ou les productions de petites entreprises locales.

Pour citer le dossier :

DIOUF, F., DUFERMONT, T., GIRARD, I., LEFEBVRE, V., SCHMITZ, C. & SEEPERSAD, I. (2021). Les Ouïghour.e.s face à la société internationale contemporaine : de la compréhension à l’action. growthinktank.org. [online] Mar. 2021.

© Kashgar, prière de l’Eid devant la mosquée Id Kah / Sylvie Lasserre (2007)

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  2. […] DIOUF, F., DUFERMONT, T., GIRARD, I., LEFEBVRE, V., SCHMITZ, C. & SEEPERSAD, I. (2021). Uyghurs in the Contemporary International Society: From Awareness to Action. Generation for Rights Over the World. [online] Available at : https://www.growthinktank.org/en/uyghurs-in-the-contemporary-international-society-from-awareness-to… […]

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