L’amour et les forêts, présenté au Festival de Cannes 2023, a été réalisé par Valérie Donzelli et co-écrit avec Audrey Diwan et est une adaptation du livre éponyme d’Eric Reinhardt. Dans ce long-métrage consacré à la lourde thématique des violences conjugales, la réalisatrice retrace l’histoire de la relation amoureuse de Blanche (interprétée par Virginie Efira) et son mari Grégoire (Melvil Poupaud), de ses débuts idylliques à sa rupture tragique, en explorant les étapes de cette longue descente aux enfers. 

Les mécaniques de l’emprise

Le film se démarque du livre d’Eric Reinhardt par le choix de la réalisatrice de raconter l’histoire depuis la perspective de Blanche. Cela lui permet ainsi d’explorer toute la mécanique de l’emprise au sein du couple depuis le point de vue de la victime, et de comprendre comment Blanche se retrouve petit à petit piégée au sein de sa propre relation. Pour ce faire, le long-métrage est intelligemment découpé en deux types de séquences, et alterne entre des scènes entre Blanche et son avocate, qui tente de recomposer la relation abusive de manière chronologique, et les flashbacks de ces scènes. 

En racontant la mise en place de la mécanique de l’emprise de Grégoire sur sa femme, Valérie Donzelli présente en réalité un mécanisme assez commun à de nombreux couples. Elle s’est d’ailleurs inspirée de vrais témoignages de femmes afin de représenter au mieux cette emprise psychologique sur la victime et de décrire le continuum de violences auquel il mène. 

L’emprise de Grégoire sur Blanche s’installe de manière progressive et insidieuse. Son côté manipulateur est invisible au début de leur relation. Mais, après quelques mois, la mécanique se met petit à petit en place. Cela commence d’abord avec des brimades et des commentaires désobligeants qui paraissent anodins. Ils sont pourtant les premiers signes d’une relation toxique. Grégoire fait ainsi une réflexion négative sur la nouvelle coupe de cheveux de Blanche. Petit à petit, il commence à révéler son vrai visage, passant de celui d’un homme amoureux à une personne manipulatrice, possessive et violente. Tout s’accélère après leur mariage, lorsque Grégoire utilise un prétexte de mutation pour déménager à Metz, loin de la Normandie native de Blanche, afin de l’éloigner de sa mère et de sa sœur. Son isolement passe ensuite par la privation de sa voiture, le contrôle de ses dépenses et la limitation de ses sorties. Son seul espace de liberté devient son travail de professeure, bien que Grégoire contrôle chacun de ses horaires et déplacements, et la harcèle par téléphone tout au long de ses journées au lycée. Le comportement de Grégoire est également très culpabilisant. À chaque dispute, il manipule sa femme en inversant les rôles et en se faisant passer pour la victime de la situation. À tel point que Blanche doute, se remet en question et le pardonne à chaque fois. Lors d’une scène avec son avocate, celle-ci demande à Blanche de simplement s’en tenir à la description des faits, sans tenter de justifier (inconsciemment ou pas) les comportements de son ex-mari. Les violences psychologiques sont peu à peu accompagnées de violences physiques, menant jusqu’à l’hospitalisation de Blanche, physiquement et mentalement à bout. 

Tout au long de son film, la réalisatrice s’appuie sur des plans de plus en plus asphyxiants, se prêtant au film d’angoisse, de telle manière que les spectateur.rice.s se sentent elleux-même pris.es au piège, anxieux.ses, en attendant la prochaine attaque de Grégoire. 

Les violences conjugales en France 

L’Amour et les forêts n’est pas simplement l’histoire de Blanche. Il fait écho aux histoires de 208 000 victimes en France chaque année1, également à l’histoire de la centaine de femmes tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint chaque année (113 en 2021)2

Les violences conjugales sont des violences commises par l’un.e des conjoint.e.s ou ex-conjoint.e.s sur son.sa partenaire. Ces violences conjugales touchent toutes les classes sociales, catégories socioprofessionnelles, sexualités, âges… Néanmoins, si ces violences concernent tous les genres, les victimes sont majoritairement des femmes et les agresseurs des hommes : 87% des victimes sont des femmes tandis que 89% des agresseurs présumés sont des hommes3.

Le film touche un aspect important sur le sujet des violences conjugales, en abordant les différents types de violences coexistant au sein du continuum des violences conjugales. Le site de l’administration française identifie en effet quatre différents aspects de la violence conjugale : les violences physiques, les violences psychologiques, les violences sexuelles et les violences économiques. Blanche expérimente l’entièreté du spectre. 

Pourtant, les violences conjugales restent encore largement associées à la seule violence physique, parce qu’elle est la plus visible. Encore aujourd’hui, on assimile généralement une victime de violence conjugale à l’image d’une femme battue, le visage blessé, le bras cassé. Plus grave, cela se reflète aussi dans la prise en charge des victimes, puisqu’un seul système ne peut traiter autant de cas différents. Ainsi, lors du dépôt de plainte, il est plus difficile pour les victimes de se faire croire lorsqu’elles dénoncent des violences silencieuses et invisibles. La justice française est également plus adaptée à prendre en charge des victimes de violences physiques, particulièrement lors d’une hospitalisation. La prise en charge est moins adaptée aux autres types de violences, qui requièrent l’écoute des victimes pour identifier un cas de violences conjugales. Dans tous les cas, la réponse du système pénal français est longue, et un nouveau parcours du combattant attend les victimes qui décident de porter plainte. Dans le film, l’avocate de Blanche l’avertit : 

« Je vous préviens, le chemin va être long. Vous devrez dire des choses qui vont feront souffrir. C’est une guerre ». 

Moins connues, les violences économiques se traduisent par le contrôle des ressources financières de la victime. Dans le film, Grégoire prive ainsi progressivement Blanche de son indépendance financière, en contrôlant au centime près chacune de ses dépenses. Bien que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) intègre les violences économiques dans sa définition des violences conjugales, la France, pourtant État partie de la Convention, ne définit pas les violences économiques en tant que telles dans son droit interne. 

La libération nécessaire de la parole

Parce qu’elles touchent toutes les catégories de femmes, les violences contre les femmes, et particulièrement les violences conjugales, longtemps réduites à la seule sphère privée, représentent un défi majeur pour notre société. Certaines avancées positives sont à noter, puisque le nombre de dénonciations a augmenté depuis le début du mouvement #MeToo, porté à la fois par un contexte de libération limitée de la parole ainsi qu’une amélioration des formations des policier.ère.s et gendarmes dans l’accueil des victimes. Néanmoins, le silence autour de ces violences reste caractérisant de notre société, comme un reflet de celui des victimes, réduites au silence par la honte, l’isolement, ou encore la peur. En 2021, moins d’un quart des victimes4 portait plainte. 

Il est primordial que ce silence soit levé, que les victimes soient entendues, que tou.te.s soient sensibilisé.e.s et puissent savoir écouter et venir en aide aux victimes. En effet, comme mentionné plus haut, l’écoute est cruciale dans les cas où les violences sont invisibles et donc plus difficiles à détecter. Une victime ne peut se sortir seule de cette situation. Il est donc urgent que des espaces se créent où la parole puisse se libérer, à l’instar du cinéma. Le septième art a un rôle à jouer dans la libération de la parole et la sensibilisation autour des violences conjugales. Valérie Donzelli l’a compris et explique, à propos de L’amour et les forêts

« J’avais envie de faire un film sur la parole qui se libère, et la réception de cette parole par quelqu’un qui peut l’écouter et la recevoir (…) »

L’auteur du livre, Eric Reinhardt, explique qu’il « fallait un film électrochoc qui fasse qu’une fois la salle rallumée, des femmes décident de se soustraire à l’emprise de leur conjoint et de passer à l’offensive ».

La libération de la parole et la sensibilisation autour des violences conjugales sont particulièrement importantes auprès des jeunes générations. Plusieurs mécanismes se mettent progressivement en place, à l’instar du violentomètre. Cet outil, conçu en Amérique latine et repris par la mairie de Paris et plusieurs associations féministes, est diffusé dans les établissements scolaires. Il permet de repérer de potentielles violences dans son couple. Le barème est divisé en trois couleurs : le vert (la relation est saine), l’orange (il y a des violences) et le rouge (la personne est en danger). 

Si vous êtes témoin ou victime de violences conjugales, des ressources existent : 

L’amour et les forêts, réalisé par Valérie Donzelli, 2023, 105 minutes, actuellement en salle en France.

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