L’arrivée des beaux jours et des vacances d’été, c’est pour beaucoup l’occasion de commencer à réfléchir à leur prochaine destination touristique. Certain.e.s pourraient alors être tenté.e.s par une expérience atypique : le volontourisme. Ce néologisme, formé des mots « volontariat » et « tourisme », désigne une formule permettant de voyager tout en se portant bénévole pour aider une population dite « défavorisée » au sein d’une association, locale ou internationale. Ce type de vacances, mis en place par des agences spécialisées, a un coût : en moyenne aux alentours de 2000€ la semaine. Tout le monde, dès l’âge de 16 ans, peut participer à cette aventure et proposer ses services, comme enseigner l’anglais à des Cambodgien.ne.s ou construire des puits au Bénin. En échange, l’agence se charge d’organiser des tours guidés et parfois de l’hébergement.  

Si sur le papier, l’offre semble partir d’une bonne intention et attire de plus en plus, la réalité est loin d’être aussi rose…

Une pratique héritée des codes colonialistes

Tout d’abord, ce qui dérange, c’est le néocolonialisme latent qui se cache derrière ces pratiques, comme expliqué dans la vidéo “Le business du tourisme humanitaire” d’AJ+ français. En d’autres termes, depuis la colonisation du monde par les Occidentaux.les, ces dernier.ère.s se considèrent comme responsables d’aider les peuples à se développer en leur apportant (ou imposant) leurs connaissances et leurs pratiques culturelles. Ainsi, celles et ceux que l’on va désigner comme des « néocolons » sont des personnes issues des pays « développés », bercées d’illusions, de préjugés et de clichés racistes qui pensent être capables d’apporter le progrès aux « pauvres petit.e.s Africain.e.s et Asiatiques ». On parle aussi du complexe du « white savior » (« le.a sauveur.se blanc.he »). Il consiste à désigner le fait que les Blanc.he.s se considèrent comme légitimes à aider les populations du Sud, sans pour autant posséder les connaissances nécessaires du contexte local, ni de compétences spécifiques pour les actions qu’iels proposent. Ces individu.e.s cherchent à se valoriser, par exemple via des photos et publications sur les réseaux sociaux, souvent avec de jeunes enfants (au mépris du droit à la vie privée pourtant explicité à l’article 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant). Les engagements humanitaires sont scénarisés, ce qui permet à l’auteur.rice de ces actions de se mettre en avant, dans une position de héros.ïne, de sauveur.se, de bienfaiteur.rice. Ainsi, comme l’explique @Asiatitude sur Twitter, le tourisme humanitaire (ou volontourisme), est une idéologie directement héritée de la colonisation, car elle « naît du désir de la société développée de vouloir à tout prix sauver les pays du tiers monde de la misère, de la pauvreté ». Il s’agit donc d’une façon de flatter l’égo des Blanc.he.s, ce que les associations en question ont bien compris. 

L’art d’entretenir la misère : un business de la pitié 

En réalité, très peu d’argent arrive réellement aux personnes dans le besoin, contrairement à ce qui est indiqué à l’origine. Attiré.e.s par ce business juteux, les locaux.les proposent une offre cherchant à se conformer le plus possible à la demande, soit aux fantasmes des volontaires. Dans un documentaire d’Envoyé Spécial sur le volontourisme datant de 2017, une rencontre avec un directeur d’école privée au Cambodge est filmée. On voit que l’argent prend davantage le pas sur les qualifications : pour 5€ il est possible de donner des cours d’anglais, pour 100€ distribuer des paquets de riz, etc. La transaction se fait directement via le compte du directeur, mais il n’y a aucune justification de ce qui est fait avec cet argent. De plus, bien souvent les donateur.rice.s ne restent pas assez longtemps pour mesurer le véritable impact de leurs dons, par exemple, si le riz a bien été distribué aux principaux.les concerné.e.s. Ce qui arrange bien les personnes à la tête des organisations « d’aide ». En effet, iels ont besoin de garder les gens dépendant.e.s pour pouvoir continuer à faire venir des touristes et empocher toujours plus d’argent. Cette misère est alors volontairement entretenue pour s’assurer de correspondre aux attentes des Occidentaux.les. Les responsables vont même jusqu’à maintenir les établissements dans des conditions exécrables, à donner des vêtements de mauvaise qualité et très peu de jouets aux enfants pour attirer la pitié des touristes. Pire encore, des enquêtes menées par des agences spécialisées dans la lutte contre le volontourisme telle que France Volontaires ont révélé qu’environ 70% des « orphelin.e.s » placé.e.s dans ces associations ont en réalité au moins un de leur parent toujours en vie. La plupart du temps, les associations approchent les familles les plus pauvres des milieux ruraux et leur proposent d’échanger leur(s) enfant(s) contre de l’argent ou de la nourriture, tout en leur faisant miroiter une bonne éducation à la clé. C’est ce qui explique par exemple qu’à Katmandou, au Népal, il y ait plus d’orphelinats que sur l’entièreté du continent européen. En fait, tout un trafic d’enfants a été construit sous couvert de volontariat international.

Des actions inutiles, voire néfastes

Le problème principal avec les projets mis en place par les volontaires, c’est qu’ils sont très rarement basés sur le long terme et sont en total décalage avec le contexte local. Ainsi, à quoi sert la construction d’une école s’il n’y a pas de professseur.e.s pour enseigner ? Comment peut-on privilégier l’éducation quand les enfants meurent de faim ? Un autre exemple d’action sans effets notoires est présenté dans le reportage d’Envoyé Spécial mentionné précédemment : des Américain.e.s mettent en place un système de pompe à eau dans des villages pauvres du Cambodge. Une plaque est installée à la gloire du donateur.rice juste à côté de la pompe. Or, quelques jours plus tard l’installation, de qualité médiocre, ne fonctionne déjà plus et les locales.aux ne savent pas comment la réparer, car iels n’ont pas été formé.e.s à entretenir une telle machine. Finalement, c’est une perte d’argent et de temps pour tout le monde et le.a propriétaire des lieux n’est pas content, car l’infrastructure prend de la place sans être efficace. 

En l’occurrence, ce que l’on reproche souvent au volontourisme, c’est le manque de formation des bénévoles. Les organisations leur proposent des actions sans aucune vérification de leurs compétences, ce qui serait impossible de faire en France sans présenter une quelconque certification. Ainsi, il n’est pas possible d’être professeur.e d’anglais dans une école française sans diplôme. C’est pourquoi, les cours proposés n’ont pas de réelles retombées : ils sont souvent loin des standards éducatifs et pédagogiques requis, ils ne suivent pas les programmes d’enseignements locaux et sont dispensés par des individu.e.s qui ne maîtrisent pas la langue locale. Il n’y a que très rarement d’enseignant.e.s locales.ux présent.e.s lors de ces classes, ce qui ne permet pas de transmettre et d’échanger sur les connaissances de chacun.e.s. La continuité pédagogique est donc inexistante avec des volontaires professeur.e.s qui changent en moyenne tous les quatre jours. De plus, les bénévoles suivants se contenteront de refaire les mêmes enseignements basiques que les précédents. 

En ce qui concerne les enfants, en particulier celles et ceux qui sont réellement orphelin.e.s, le fait de voir défiler des personnes auxquelles iels s’attachent, mais qui finissent par les abandonner crée souvent des troubles de l’attachement et de l’abandon. Une enquête réalisée par l’association Friends International a mis en lumière les effets néfastes des placements d’enfants en orphelinat : « Les enfants grandissant dans ces structures sont plus à risque de présenter des troubles de l’attachement, ont de plus grandes difficultés à se réintégrer dans la société plus tard, et leur développement intellectuel est plus lent que s’ils grandissaient au sein d’une cellule familiale. En effet, on estime que pour tous les trois mois qu’un enfant en bas âge passe dans un orphelinat, il perd un mois de développement. »

Mais le fléau principal du tourisme humanitaire est la pédophilie. Les affaires judiciaires horrifiantes pour des cas de pédophilie dans le milieu sont hélas nombreuses. Cela s’explique notamment par le fait que les organisations n’effectuent aucun contrôle des passeports ni des casiers judiciaires, même quand les volontaires sont amené.e.s à côtoyer des enfants. La réglementation de ces milieux dits « humanitaires » est encore trop faible et les associations abritant des trafics d’enfants et/ou du tourisme sexuel ont bien souvent le soutien des politicien.ne.s et des policier.ère.s corrompu.e.s : les volontaires du tourisme humanitaire sont une véritable mine d’or qu’il convient d’exploiter au maximum. 

Quelles solutions ? 

Alors, après tout ça, que faire quand on souhaite réellement se rendre utile ? Tout d’abord, il convient de bien comprendre que l’humanitaire est un vrai métier qui répond à des codes contenus dans le droit international de l’humanitaire et les Conventions de Genève de 1949. N’importe qui ne peut donc pas s’improviser volontaire international : il faut avoir bénéficié d’une formation préalable spéciale dans le secteur de l’humanitaire et présenter un diplôme pour pouvoir être embauché.e. Il est toujours possible de faire des dons à ces professionnel.le.s de l’humanitaire, comme la Croix Rouge, Médecins sans Frontières, Première Urgence Internationale, etc. Ces dons sont nécessaires et sont bien souvent la meilleure façon d’agir quand on ne possède pas les qualifications requises pour aller sur le terrain. C’est ce qu’expliquait le journaliste spécialiste de l’Afrique, Jacob Kushner, dans le New York Times, le 22 mars 2016 au sujet de chrétien.ne.s venu.e.s à Haïti pour construire une école : « Ces gens ne savaient pas du tout comment construire un bâtiment. Collectivement, ils avaient dépensé des milliers de dollars pour prendre l’avion et venir faire le travail que des maçons haïtiens auraient pu faire beaucoup plus rapidement. Imaginez combien de salles de classes supplémentaires pourraient avoir été construites s’ils avaient fait don directement de leur argent, plutôt que de le dépenser en prenant l’avion. Peut-être aussi que des artisans haïtiens auraient pu trouver un emploi pour quelques semaines avec une paye décente pour ce chantier. Au lieu de ça, pour plusieurs jours, ils étaient au chômage. » Par ailleurs, il existe des dispositifs de volontariats basés sur un pied d’égalité avec les locales.aux et mettant en valeur l’échange. C’est par exemple le cas du Service civique à l’international ou encore des chantiers internationaux, qui mettent beaucoup plus en avant le dialogue et l’apprentissage mutuel plutôt que de chercher à imposer une façon de faire en infantilisant les populations locales. 

Enfin, il convient de rappeler, qu’en France métropolitaine, en 2020, la Fondation l’Abbé Pierre dénombrait environ 300 000 personnes sans domicile fixe ; c’est deux fois plus qu’en 2012, lors de la dernière enquête réalisée par l’INSEE. Le Secours Populaire et la Croix Rouge recherchent donc activement des bénévoles pour l’organisation de maraudes, car contrairement aux idées reçues, c’est l’été que les sans-abris ont le plus besoin d’aide pour surmonter les fortes chaleurs. Cette situation est d’autant plus difficile à gérer avec la pandémie de Covid à laquelle nous faisons face depuis plus d’un an maintenant. Pour plus d’informations à ce sujet, l’article « L’abandon des sans-abris durant la crise de Covid-19 en France » écrit par Jeanne Pavard et Jessie Lee est disponible sur notre site internet.

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