« Je veux que les gens se sentent entendus, enlacés, et s’ils écoutent quelque chose comme Labour, qui est un chant empli de colère, je veux qu’ils sentent que leur colère est valide. Si c’est autre chose, je veux qu’ils se sentent réconfortés, si ça les fait pleurer, je veux qu’ils se sentent soutenus. J’espère que ma musique pourra servir comme une bulle de protection dans laquelle on peut ressentir toutes les émotions qui ont besoin d’être ressenties. »1

Le succès dès sa sortie de ce que certain.e.s qualifient déjà d’un cri de guerre féministe parle de lui-même. Le titre dépasse les 35 millions de streams sur Spotify et cumule plus de 40 000 utilisations sur TikTok où il accompagne la plupart des vidéos sur le féminisme mais aussi de plus en plus de témoignages de misogynie, de violences conjugales, d’agressions et de violences sexistes et sexuelles. La chanson est ainsi devenue la voix de toutes celles qui s’identifient à ces paroles, leur donnant ou redonnant la force de se battre, et les liant par un hymne commun empreint d’une envoûtante « feminine rage », fureur féminine : elles ne sont pas seules. 

Le refrain souligne l’enfer des inégalités systémiques de genre, l’enfer d’être marginalisées, réduites au silence, jamais crues dans une société où il faut encore se battre pour être écoutées et entendues : « Toute la journée, tous les jours, thérapeute, mère, domestique / nymphe puis vierge, infirmière puis servante / Juste un appendice, vivant pour le servir / Pour qu’il ne lève jamais le petit doigt / 24/7, machine à enfants / Pour qu’il puisse vivre ses rêves / Ce n’est pas de l’amour si tu la forces / Tu me fais faire trop de travail »2. Les métiers mentionnés renvoient à l’ancienneté de ce combat : depuis l’Antiquité, depuis toujours, les femmes ont fait face à ces affronts, voyant leurs droits et leur dignité piétinés, encore et encore. Et le mot “travail” renvoie aussi bien à la charge des tâches à accomplir qu’à l’accouchement et à la réduction des femmes à la maternité.

« Labour » se fait porte-parole du cauchemar qui peut entourer la féminité, soulignant l’objectification, l’oppression sociale, les inégalités et la violence physique et psychologique. Cette dernière se ressent particulièrement dans l’un des vers du refrain : « Juste un appendice, vivant pour le servir, pour qu’il ne lève jamais le petit doigt »3. Non seulement il faudrait être à “son” service, celui de l’homme, supporter seule la charge mentale de toutes les tâches pour qu’il n’ait pas à faire quoi que ce soit, mais la phrase est à double tranchant. Il faudrait aussi accomplir toutes ces tâches correctement, dans le seul espoir qu’il soit satisfait et qu’il ne lève pas la main sur son épouse. 

Toute la fureur féminine dans les mille voix de la version « cacophonie »

« Nous minimisons notre colère, en l’appelant frustration, impatience, exaspération ou irritation, des mots qui ne traduisent pas la demande sociale et publique intrinsèque de la « colère ». Nous apprenons à nous contenir : nos voix, nos cheveux, nos vêtements et, surtout, nos paroles. »4, Soraya Chemaly, Rage Becomes Her: The Power of Women’s Anger

Un an après la sortie de « Labour », Paris Paloma annonce la sortie d’une version « cacophonie » : après un appel à participantes, elle ré-enregistre la chanson avec des centaines de femmes de tous âges et tous horizons. Les voix d’enfants soulignent le cercle vicieux transcendant les générations d’un traumatisme qui commence dès l’enfance. Ce nouvel hymne laisse transparaître toute la rage accumulée depuis des siècles, dans un poignant cri de colère de milliers de femmes, liées par un nouveau chant de ralliement. Dans une société où certain.e.s semblent croire que les hommes et les femmes sont enfin égaux.les, la chanson vient rappeler combien certains droits ne sont toujours pas acquis et combien le féminisme n’est pas et ne peut pas être obsolète au 21ème siècle. C’est un appel au changement, au combat, à l’avènement d’un monde dans lequel nos enfants ne pourraient pas croire en lisant leurs livres d’histoire que ce combat ait même dû exister.

L’artiste 

Les études d’histoire de l’art de l’auteure-compositrice-interprète transparaissent dans ses paroles et dans ses clips, avec des allusions à Rebecca de Daphné du Maurier et d’autres analogies visuelles saisissantes. Le clip de « Labour » dépeint un dîner où un homme mange sans fin – symbolisant la société patriarcale – tandis que Paris Paloma le sert, elle se saisit ensuite d’une grenade et mord dedans. La grenade, la couleur rouge et le jus qui s’égoutte de sa bouche évoquant des filets de sang donnent l’impression d’un tableau représentant une scène mythologique. 

Ses nombreuses autres chansons sont tout aussi ensorcelantes que « Labour » et abordent avec des paroles poignantes les inégalités de genre, la charge mentale et émotionnelle et le féminisme dans des chansons comme « the fruits » ou « boys, bugs and men ». Son premier album Cacophony sortira le 30 août. 

Paris Paloma, « Labour », Cacophony, 2023

 

Pour aller plus loin…

Mylrea, H. (2023). Paris Paloma: ‘When people listen to “Labour”, I want them to feel like their anger is valid’. [online] NME. Available at: https://www.nme.com/features/music-interviews/paris-paloma-artist-labour-song-interview-tiktok-radar-3449655

Sarino, A.L. (2024). The Return of Female Rage: A Year Into Paris Paloma’s ‘Labour’. [online] Erato Magazine. Available at: https://www.eratomagazine.com/post/paris-paloma-labour.

Young, M. (2023). Paris Paloma: ‘I don’t want to reduce the meaning of being a woman to our capacity for pain and anger’. [online] Dork. Available at: https://readdork.com/features/paris-paloma-interview-oct23/.

References
1 Traduction libre, originale : “I want [people] to feel heard, or held, and whether they’re listening to something like ‘Labour’ and it’s something so angry, I want them to feel like their anger is valid. If it’s something else, I want them to feel comforted, if it makes them cry I want them to feel held while they do that. I hope that my music can serve as a vehicle for a protective sphere in which to feel any emotions that need to be felt.”
2 Traduction libre, originale :All day, every day, therapist, mother, maid / Nymph then a virgin, nurse then a servant / Just an appendage, live to attend him / So that he never lifts a finger / 24∕7, baby machine / So he can live out his picket fence dreams / It’s not an act of love if you make her / You make me do too much labour
3 Traduction libre, originale : “Just an appendage, live to attend him / So that he never lifts a finger”
4 Traduction libre, originale : “We minimize our anger, calling it frustration, impatience, exasperation, or irritation, words that don’t convey the intrinsic social and public demand that ‘anger’ does. We learn to contain ourselves: our voices, hair, clothes, and, most importantly, speech.”

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