Créer les conditions favorables à la réduction des inégalités de genre en contraignant le système à encourager la parité : c’est en substance le raisonnement avancé pour favoriser l’accès des femmes à des postes de pouvoir, notamment dans la sphère politique, mais aussi dans les sphères économique et sociale. Pourtant, les quotas font encore l’objet de beaucoup d’hostilités. Pourquoi cet outil dans la lutte contre les inégalités fait-il autant grincer les mâchoires ? Face à des inégalités encore trop importantes, il est nécessaire de se questionner sur leur efficacité pour atteindre une réelle parité.

 

Un instrument ciblé qui se démocratise

Le quota est un outil législatif contraignant et ciblé qui peut s’avérer efficace au regard de son objectif spécifique : faciliter l’accession des femmes à des postes clés. En France, l’article premier de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle de 1999, précise que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Ce dispositif a d’abord été instauré à travers l’adoption des lois sur la parité en politique de 1999-2000. Il s’est ensuite étendu à d’autres sphères, notamment économique et administrative. La loi dite « Copé-Zimmermann » du 27 janvier 2011 a marqué un réel tournant en encourageant la représentation égale des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance, ainsi que l’égalité professionnelle dans les conseils d’administration des entreprises. Viennent ensuite la loi Sauvadet en 2012 et la loi de 2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche, qui soutiennent les nominations aux emplois d’encadrement supérieur de la fonction publique et dans les comités de sélection et instances dirigeantes dans l’enseignement supérieur.

Un instrument critiqué

Bien que les quotas soient un outil quantitatif qui a des effets positifs sur la parité hommes-femmes au sens numérique, ils sont soumis à de nombreuses critiques. Dès que l’on aborde la question des « quotas », cela évoque immédiatement l’idée de la « discrimination positive » et toutes les suspicions qui y sont associées. On accuse les quotas de tenter de régler une discrimination avec une autre discrimination. Certes, on est loin de l’idéal méritocratique et oui, ce principe d’instituer des inégalités afin de promouvoir l’égalité peut sembler paradoxal. Pourtant, toute personne qui se penche sur les fondamentaux de cette notion en sort enrichie de réflexions sur un instrument qui interroge en profondeur notre vision de l’égalité. 

Les quotas, une étape nécessaire pour faire évoluer la société ?

Forcer artificiellement l’égalité est une solution drastique, mais en l’absence de contraintes légales fermes, la situation ne risque pas d’évoluer de sitôt. Un rapport du Forum Économique mondial de novembre 2015 estime qu’au rythme où vont les évolutions de l’égalité professionnelle, il faudra encore attendre 118 ans pour combler les écarts de salaires entre les femmes et les hommes, d’accès aux opportunités, de représentation, etc. La force des habitudes et l’inertie du système sont telles que les stratégies de cooptation entre les hommes se perpétuent et le partage des responsabilités s’arrête aux portes du pouvoir. Le principe philosophique et juridique d’égalité doit se rendre à l’évidence : il a peu de poids face à la puissance du patriarcat. Une politique de discrimination positive, tant qu’elle est temporaire et qu’elle incite à une transition, peut être une solution pour corriger une injustice ne trouvant plus sa source dans le droit, mais dans les habitudes et les mentalités. Les quotas viennent donc accompagner cette transformation de la société et concourent au changement des mentalités. Leur mise en place encouragerait également en retour les femmes à se montrer plus audacieuses et à oser ambitionner les postes les plus en vue : l’occasion d’en finir avec l’autocensure.

Briser le « plafond de verre »

En quoi les quotas permettraient de briser ce fameux « plafond de verre », métaphore de cette véritable barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder aux postes à responsabilité ? Les quotas sont un outil qu’il faut penser sur le long terme. Avec une représentation plus équilibrée des femmes dans les organes de décision, celles-ci auront davantage de chances d’être écoutées et leurs besoins et préoccupations d’être pris.e.s en compte. De plus, avoir plus de femmes élues ou nommées grâce à la mise en place de quotas mène souvent à une plus grande sensibilité des décideur.se.s aux problèmes et aux défis auxquels font face les femmes dans leur vie quotidienne. Dans une certaine mesure, elles peuvent donc être plus enclines à défendre et promouvoir des politiques et des lois qui amélioreront progressivement la représentation des femmes dans les différentes sphères de la société, et prendront en considération les inégalités les concernant. En permettant l’accession de femmes à des postes de pouvoir dans la justice ou la politique par exemple, cela encourage en partie le développement de politiques, de lois ou de programmes plus inclusifs qui peuvent égaliser les chances en matière d’emploi, de salaire, de soins de santé et d’autres domaines.

La nécessité d’une action globale

Plus de dix ans après l’instauration des quotas, on peut faire le constat d’une plus grande féminisation de la vie politique. Mais il reste encore du chemin à parcourir, car cet instrument ne peut à lui seul créer l’égalité. Par exemple, parmi les décideur.se.s politiques, si la mise en œuvre de dispositions législatives contraignantes, qui ne concernent pas au demeurant à ce jour les exécutifs, a conduit en 2022 à un taux de représentation féminine de 44 % au Parlement européen et de 48,5 % dans les conseils régionaux, celui-ci progresse plus lentement à l’Assemblée nationale (37,6 %) ou au Sénat (34,8 %) et stagne à un niveau particulièrement bas (10 %) dans les conseils généraux qui constituent les assemblées représentatives les moins féminisées (Chiffres-clés – Vers l’égalité réelle entre les femmes et les homme, 2022). Les politiques de quotas sexués au sommet de la hiérarchie ont tendance à laisser de côté les inégalités qui touchent les femmes issues de classes sociales moins favorisées en ciblant plutôt des femmes issues de l’élite sociale. Il est important de souligner que le genre interagit avec d’autres systèmes d’inégalités, tels que la classe sociale, l’origine ethnique ou culturelle, l’orientation sexuelle, etc. Par conséquent, les politiques d’égalité doivent être pensées de manière intersectionnelle pour prendre en compte ces différents axes d’oppression.

Ne pouvant être une solution unique et isolée, l’instauration des quotas doit agir de concert avec l’instauration d’autres politiques et instruments. Seule une action globale alliant mise en place de quotas, politique de conciliation vie privée-vie professionnelle et lutte contre les stéréotypes permettra de rendre réelle l’égalité entre les genres.

1 Commenter

  1. Article très intéréssant

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