À l’occasion de la COP26, António Guterres a prononcé un discours soulignant l’urgence d’agir au niveau mondial contre le dérèglement climatique, reconnaissant que « nous sommes en train de creuser notre propre tombe ». Ce discours appelle à une approche holistique de la gouvernance mondiale pour lutter contre le changement climatique. Autrement dit, aucun État ne peut se permettre d’agir comme passager clandestin dans cette lutte. Par ailleurs, il est nécessaire de s’attaquer à ce problème par le biais d’une justice climatique fondée sur les droits de tou.te.s. 

Aujourd’hui, tout le monde, à l’exception des climato-sceptiques et des entreprises internationales inconscientes et motivées par le profit, s’accorde sur le fait que le changement climatique met en danger l’humanité, et donc son droit fondamental à la vie entre autres. En admettant ce postulat, il semble tout à fait évident que la lutte contre le changement climatique implique d’utiliser le langage des droits humains pour soutenir les efforts mondiaux. Il ne s’agit pas de hiérarchiser les droits, mais nous devons reconnaître que l’humanité est prête à lutter contre le dérèglement climatique par souci de survie plutôt que par volonté de préserver la Terre. La Terre peut s’adapter au climat d’une manière que les humains ne peuvent pas. C’est exactement ce à quoi l’ancienne Haut-Commissaire aux droits de l’Homme, Mary Robinson, faisait référence en déclarant que le changement climatique était « probablement le plus grand défi du XXIe siècle en matière de droits humains ». Non seulement parce que le droit à la vie est imprescriptible en toutes circonstances, mais aussi parce qu’il est lui-même une condition de la réalisation des autres droits.

Étant donné que la survie de l’humanité est en jeu, la lutte contre le dérèglement climatique nécessitera l’adoption de mesures radicales, et nous ne devrions pas avoir peur de ce dernier terme simplement parce qu’il a été utilisé ces dernières années pour décrire une multitude de phénomènes. La radicalité n’est pas quelque chose d’intrinsèquement néfaste. Ce qui peut la rendre nuisible, c’est ce que nous en faisons. Être radical.e face à un événement aussi inquiétant que le changement climatique et ses conséquences n’est en aucun cas un comportement despotique, mais une nécessité. Une action radicale contre le dérèglement climatique est nécessaire pour limiter ses répercussions irrémédiables. Mais les mesures fortes ne peuvent être efficaces que si tous les États de la communauté internationale coopèrent. Dans le cas contraire, elles n’auront aucun impact, le changement climatique étant un problème trop vaste pour être résolu unilatéralement, et n’auront pour conséquence que d’affecter négativement les droits humains.

Dans cette optique, l’utilisation du langage des droits humains est pertinente pour soutenir les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique. Le discours des droits humains est précisément ce qui rationalise la prise de décisions radicales. Les enjeux sont élevés, mais le projet doit être réfléchi, mesuré et inclusif. La lutte contre le changement climatique ne doit pas se substituer à la lutte pour les droits humains. Au contraire, ces deux combats doivent être menés simultanément. La lutte contre le dérèglement climatique est essentielle, mais elle ne doit pas se faire au détriment des avancées sociales réalisées jusqu’à présent, surtout si l’on considère que les premières victimes de cette décision radicale seraient les populations les plus vulnérables. Une approche environnementale fondée sur les droits humains devrait s’attacher à fournir à chaque individu.e les conditions minimales d’une vie dans la dignité, et c’est exactement ce que la justice climatique tend à mettre en avant.

Les droits humains ont été définis à l’origine au niveau international dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Ils englobent une multitude d’affirmations morales concernant les droits de tous les êtres humains, indépendamment de « la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la propriété, la naissance ou toute autre situation ». En tant que telle, la notion de droits humains implique une certaine vision de l’égalité et de la justice pour tou.te.s.

Néanmoins, le changement climatique est un enjeu mondial croissant qui ne touche pas encore toutes les populations et tous les territoires de la même manière, mais qui, s’il n’est pas maîtrisé, entraînera à terme l’inhabitabilité de la Terre et la disparition de l’humanité. En effet, d’une part, certains territoires et certaines catégories de populations sont déjà beaucoup plus en proie au dérèglement climatique et à ses conséquences, comme les îles directement menacées par la montée du niveau des mers, ou les régions arides par la sécheresse. D’autre part, certains territoires ont davantage de capacités économiques, matérielles et institutionnelles pour atténuer à court terme leurs impacts sur leurs populations. Par conséquent, un autre argument en faveur de l’utilisation du langage des droits humains dans la lutte contre le changement climatique est une considération d’équité et de justice dans une compréhension rawlsienne. En effet, le changement climatique, en plus d’être une question de survie, est également une question de justice, à savoir la justice climatique.

Le concept de justice climatique implique trois approches, chacune d’entre elles mettant en évidence un déficit de justice entre deux ou plusieurs catégories qui sont touchées de manière asymétrique par le dérèglement climatique. La première approche est une justice interétatique qui met l’accent sur les inégalités entre les pays dits « développés » et industrialisés du Nord, relativement moins touchés par les effets du changement climatique, et les pays du Sud dits « en développement », moins polluants, mais généralement plus menacés. La deuxième approche concerne l’équité intergénérationnelle en matière de changement climatique. Ce point de vue a été développé pour la première fois lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992 et a récemment été repris par le mouvement Youth for Climate. Il s’agit d’un principe moral et juridique selon lequel les générations passées et actuelles, dont le mode de consommation capitaliste est largement responsable du réchauffement climatique, ne doivent pas mettre en péril les intérêts des générations futures. Enfin, une troisième conception concerne l’équité intragénérationnelle. Cette approche s’intéresse aux inégalités entre les classes sociales et entre les territoires dans une société donnée, à un moment donné, lorsqu’ils sont affectés par le dérèglement climatique.

À cet égard, le discours sur les droits humains est primordial dans la lutte contre le changement climatique, précisément pour garantir que chaque action engagée soit évaluée de manière à limiter l’aggravation des inégalités déjà existantes et à maximiser l’accès de tou.te.s à leur droit à un environnement propre, sain et durable. Néanmoins, cela ne peut se produire que si tous les pays adoptent unanimement et collectivement une approche fondée sur les droits pour orienter les politiques et les actions mondiales en matière de changement climatique vers l’inclusion, l’équité et la justice.

Les droits humains sont une préoccupation mondiale, surtout lorsqu’il s’agit de survie, et doivent à ce titre être considérés comme un soutien dans la lutte contre le changement climatique. Pourtant, ils ne sont pas universels, dans la mesure où tou.te.s les individu.e.s ne jouissent pas du même degré d’accès et de disponibilités des droits, mais aspirent à le devenir. Les États doivent donc protéger celleux qui sont susceptibles d’être les plus touché.e.s par le dérèglement climatique, et cela ne peut se faire qu’en reconnaissant et en évaluant le langage des droits humains à la lumière des enjeux.

En définitive, la question n’est plus de savoir si la langue des droits humains soutient ou entrave les efforts mondiaux de lutte contre le dérèglement climatique. La reconnaissance du droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies dans sa résolution 48/13 du 8 octobre 2021 formalise l’interaction existante entre le changement climatique et les droits humains. Notre principal intérêt réside plutôt dans la manière dont la communauté internationale, au niveau mondial, et les États eux-mêmes, au niveau national, peuvent garantir que les politiques en matière de lutte contre le dérèglement climatique soient conçues, mises en œuvre et contrôlées de manière à protéger la jouissance pleine et effective des droits humains dans le monde entier, alors que la compréhension de ce que l’on appelle les droits humains n’est pas elle-même universelle.

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