En 2007 à Téhéran, Reyhaneh Jabbari (ریحانه جباری en persan), 19 ans, est piégée par un homme qui est sur le point de la violer. Deux solutions s’offrent à elle : se laisser faire, quitte à briser sa vie, être jugée par les autres, dans une société traditionaliste dans laquelle les victimes de viol sont coupables de relations sexuelles hors mariage ; ou se défendre. Elle trouve un couteau et le poignarde pour sauver sa vie. Elle se retrouve alors accusée de meurtre, un témoin l’ayant vu sortir de l’appartement. Après un procès très politisé (l’homme faisant partie des services secrets iraniens), elle est finalement condamnée à mort suivant la loi du Talion.
Comme dans d’autres États appliquant le droit islamique, l’Iran utilise la loi du Talion, autrement dit, « œil pour œil, dent pour dent », en cas de blessures ou de meurtre. À noter que, dans le cas de meurtre comme ici, c’est la famille qui se venge et c’est ainsi à elle de tuer le.a condamné.e – une façon pour l’État de se délester du problème. Lorsque la loi du Talion en cas de meurtre est décrétée, il y a trois solutions : la vengeance par la famille de la victime, qui va alors tuer le.a coupable ; le pardon accordé au/à la coupable, entrainant sa libération ; ou une indemnité financière de la famille du/de la coupable, à la famille de la victime. À noter également que, dans la loi islamique iranienne, la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme. Dans les cas où la loi du Talion est appliquée, il y a plus de coupables femmes qui sont tuées que d’hommes. En effet, pour qu’un homme qui a tué une femme soit tué à son tour par la famille de cette dernière, sa vie valant la moitié de celle de son meurtrier, la famille devrait verser un certain montant pour avoir le « droit » de le tuer.
Dans le cas de Reyhaneh Jabbari, sa vie valant moins que celle de celui qu’elle a tué, la famille peut la tuer « gratuitement ». De plus, étant une famille relativement riche, l’option de l’indemnisation financière est rejetée. Ne reste alors qu’une solution pour la famille de Reyhaneh : obtenir le pardon.
À partir d’images filmées clandestinement, d’audios enregistrés depuis les appels de Reyhaneh, de la lecture de ses lettres et de son journal tenu en prison pendant ces sept années de détention, Sept hivers à Téhéran, film documentaire de Steffi Niederzoll, montre le combat de la famille de Reyhaneh, en particulier sa mère, Shole Pakravan, pour tenter de la sauver.
Son visage et cette histoire peuvent paraître familier.ère.s, grâce à Shole Pakravan, une mère qui s’est battue de toutes ses forces pour obtenir la libération de sa fille. Elle a réussi à mobiliser autour de l’histoire de sa fille, à faire connaître son sort au-delà des frontières iraniennes. Des médias du monde entier se sont emparés de l’affaire, des politiques de plusieurs pays ont appelé à sa libération, des ONG internationales de défense des droits humains ont dénoncé une enquête bâclée, et bien sûr l’usage de la peine de mort. Grâce à son combat, Reyhaneh est devenue un des symboles de la lutte pour les droits des femmes, mais aussi contre l’injustice en Iran.
Symbole contre l’injustice, car au-delà de son cas, le documentaire montre la façon dont le procès est truqué, les choses qui peuvent être prises pour preuves alors qu’elles ne démontrent rien, l’usage de la torture par le régime pour arriver à ses fins. Ce film rappelle les discriminations auxquelles sont soumises les femmes, dès leur naissance en Iran. Que ce soit le destin de Reyhaneh ou par les témoignages de ses anciennes codétenues, le film met en lumière la condition des Iraniennes, victimes de violences sexuelles, à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre familiale, dans tous les milieux (À lire aussi : « Un mausolée pour des victimes condamnées. Les putes voilées n’iront jamais au Paradis ! de Chahdortt Djavann »). En Iran, les femmes sont assujetties aux hommes. Elles ne peuvent pas se défendre, elles seront toujours vues comme des coupables, et probablement condamnées à mort.
Reyhaneh, aussi combattante et forte que sa mère, lutte jusqu’au dernier moment, pour ses droits, mais aussi pour ceux de ses codétenues, à vivre dans une société juste, où tou.te.s pourraient vivre libres et égaux.les. Elle demande même à sa famille de pardonner ceux qui ont finalement décidé de la tuer.
Lors des séances en avant-première, à la fin de la projection, une petite vidéo nous est montrée, il s’agit de Shole Pakravan, qui s’adresse directement aux spectateur.rice.s, nous remerciant, nous disant qu’il y a des « graines d’espoir dans sa terrible histoire », mais surtout, nous demandant d’agir, pour tou.te.s celles et ceux, en prison en Iran aujourd’hui.
Ce film, sur un combat, sur un destin tragique, mais aussi sur l’espoir, a un écho particulier, puisque au moment de sa sortie, les Iranien.ne.s protestent depuis six mois dans le mouvement connu sous le nom de « Femmes, Vie, Liberté », après le décès de Mahsa Amini en septembre 2022, une autre victime du régime khomeyniste. Alors pour aider toutes ces filles, ces sœurs, ces fils, ces frères, ces mères, ces pères, détenu.e.s dans les prisons iraniennes, Amnesty International, partenaire du film, liste des moyens d’agir pour empêcher l’exécutions de manifestant.e.s condamné.e.s à mort.
Sept Hivers à Téhéran, un film-documentaire réalisé par Steffi Niederzoll, en salle en France le 29 mars 2023, 97 minutes.