La sociologue Mélissa Blais et le politologue Francis Dupuis-Déri écrivent en 2012 dans Le discours de la « Crise de la masculinité » comme refus d’égalité des deux sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe, qu’une facette de l’antiféminisme prend la forme du masculinisme, dont « le discours affirme que les hommes sont en crise à cause de la féminisation de la société ». Selon elleux, « il apparaît tout à fait ridicule d’affirmer que le féminisme est allé trop loin et que les hommes sont aujourd’hui sous le contrôle des féministes en particulier et des femmes en général ».

Et si, à l’inverse, l’influence féministe sur l’homme permettait de l’émanciper ? Aujourd’hui, l’image de l’homme dans les médias a évolué : les standards de beauté se tournent progressivement vers les hommes au style et aux traits féminins, on voit désormais l’homme cuisiner dans les publicités alimentaires, son rôle de père est de plus en plus mis en avant… L’homme, en quelque sorte, à travers l’essor du féminisme, s’émanciperait alors aussi de la femme. 

Si la crise de la masculinité désigne un ensemble de doutes et de remises en question du rôle traditionnel des hommes, par refus de l’égalité entre les genres, l’enjeu de cet article est tout autre : en effet, il convient au contraire d’analyser la progressive remise en question de la masculinité et de son lien intrinsèque avec le féminisme. 

Dès son enfance, on apprend à un homme à être fort, à ne pas pleurer, à être un « vrai homme ». Ces affirmations sexistes s’inscrivent dans un cadre plus global de masculinité toxique au sein duquel les garçons n’ont pas le droit de montrer leurs émotions et faiblesses. Suzannah Weiss, écrivaine féministe américaine, évoque les conséquences de la construction culturelle de la masculinité dans l’article 6 Harmful Effects of Toxic Masculanity du magazine Bustle  : culture du viol, absence de toute émotion, incitation à la violence… Il est important de souligner que ces comportements ne sont pas innés, ils sont seulement le reflet d’un mimétisme. Néanmoins, on assiste progressivement grâce à l’émergence de courants féministes à une nouvelle perception plus pertinente de la masculinité.

Le féminisme, doctrine prônant l’égalité entre les genres ainsi que l’émancipation de la femme dans la société, a plus que jamais émergé au XXème et XXIème siècle à travers de multiples réformes politiques (IVG, droit de vote…) ou des mouvements tels que #Metoo. En exigeant l’égalité des genres, le féminisme déconstruit également les normes dictées par la société concernant la virilité des hommes. De plus en plus, l’image de l’homme fort et viril devient désuète et sexiste. 

Cette tendance est particulièrement visible à travers le traitement de la masculinité dans les représentations culturelles : la musique, les films, la littérature, les séries… Si des stéréotypes de la masculinité hégémonique, tels que la puissance innée, acquise et naturelle de l’homme, sont omniprésents dans l’industrie cinématographique (James Bond, Star Wars…), ceux-ci sont remis en question par l’arrivée de nouveaux standards. Certains films récents questionnent ainsi la vision ultra-masculine de l’homme et sensibilisent leur public avec des personnages vulnérables (Call Me by Your Name, Le Grand Bain, Moonlight…).

Cette image de l’homme vulnérable déteint alors sur la société. En effet, les standards de beauté, évoluant selon les tendances, sont le reflet de la culture actuelle. Certains hommes embrassant leur féminité sont aujourd’hui glorifiés. Si Prince et David Bowie en étaient les précurseurs, Harry Styles et Timothée Chalamet sont au cœur d’un nouveau stéréotype indéniable de beauté : l’homme féminin. Cette tendance ne tombe pas par hasard. En effet, elle coïncide avec l’essor du féminisme, influant également sur les normes masculines édictées par la société de consommation. 

Ainsi ces personnalités, qui ont une influence déterminante sur le reste des hommes, s’émancipent complètement des mécanismes aliénants de la masculinité toxique. La philosophe Olivia Gazalé, autrice du Mythe de la virilité (2017) au sein duquel on retrouve la formulation “On ne naît pas homme, on le devient”, affirme que la révolution du féminin sera réalisée après la révolution du masculin, lorsqu’ils se seront libérés des diktats entretenant de manière inconsciente la misogynie et l’homophobie. Elle ajoute que « pour que les hommes changent le regard qu’ils portent sur les femmes, il faut qu’ils changent le regard qu’ils portent sur eux-mêmes ». L’émancipation de la femme et la déconstruction de la masculinité toxique de l’homme sont intimement liées. 

S’il est certain que le féminisme a influencé de manière irréversible la condition masculine, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas le seul élément dans cette évolution. En effet, les hommes ont à un moment donné, notamment dans les années 1960 et 1970, cherché à se dégager de certaines prérogatives qui leur étaient propres et assignées depuis des siècles, notamment en tant que chef de famille, souvent responsable de l’argent rentrant dans les ménages, et comme évoqué précédemment, du poids du mensonge d’une absence d’émotion et de sensibilité. Alain Souchon est le premier chanteur français, notamment dans “Allô maman bobo” à avoir exprimé cette souffrance et cette reconnaissance de l’émotion d’un homme à travers ses textes, interrogeant le spleen de l’homme moderne ne se reconnaissant pas dans les normes masculines édictées. De surcroît, l’absence de guerre depuis une cinquantaine d’années en Occident a fait perdre à l’homme sa place de défendeur et sauveur de la famille et de la patrie, ce qui a indéniablement modifié son rapport à la masculinité.

Cette évolution de la perception de l’homme et de sa virilité va également de pair avec le niveau d’évolution des sociétés. L’évolution de l’égalité des genres est le fait des sociétés évoluées, tant économiquement qu’intellectuellement. L’avenir, s’il est sur cette voie du progrès entre les genres, effacera sans nul doute les stéréotypes liés à la masculinité de l’homme. 

Ainsi, l’évolution de la société fait que l’homme et la femme sont confrontés aux mêmes difficultés, et se ressemblent de plus en plus dans leurs actions. Cette égalité progressive qui se crée aujourd’hui dans le travail et la reconnaissance sociale va de pair avec une reconnaissance de la proximité entre homme et femme, au niveau de leur sensibilité et de l’expression de leurs émotions.

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