« Nous avons appris que la tranquillité n’est pas toujours la paix,
et que les normes et notions
de ce qui est juste
ne sont pas toujours justice.
Et pourtant, l’aube est nôtre
avant que nous le sachions.
D’une certaine manière, nous le savons. »

Amanda Gornan. (2021). « La colline que nous gravissons ». La colline que nous gravissons.

Le 20 janvier 2021, la voix d’Amanda Gornan, première Lauréate nationale des Jeunes Poètes dans l’histoire des États-Unis, a résonné par les crêtes et les rainures qui bordaient les rues surpeuplées de Washington D.C. La poétesse, alors seulement âgée de 23 ans, incarnait la plus idyllique réalisation des valeurs démocratiques à travers son poème émouvant « La colline que nous gravissons » (The Hill We Climb). Elle a non seulement marqué un tournant pour la voie d’une représentation plus juste et plus fidèle dans l’espace public, mais aussi suivi les traces de plusieurs poètes.ses et littéraires, qui, avant elle, croyaient fermement au rôle de la culture et de la littérature dans la promotion des droits. En effet, avec la poésie, la culture et la littérature tendent à imprégner le tissu du corps démocratique, saignant et suintant dans les interstices de ses os, constituant les jalons éthiques et théoriques de nombreux développements dont la société tend à négliger la portée.

De la même façon, la Charte des Nations unies (CNU) et la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) constituent sans ambiguïté des représentations du rôle que la littérature peut jouer dans la conscientisation au nom d’un bien commun, de la recherche inhérente à l’identité humaine d’une définition plus élevée et plus juste des contours de la société. Les préambules de ces documents sont considérés comme les centres autour desquels le système occidental de protection des droits humains s’est construit et continue de se développer. Ces derniers représentent essentiellement les éléments constitutifs de la création d’innombrables instruments internationaux, dont le but était de sauvegarder l’intégrité et le développement de la vie humaine. Dans l’élaboration de ces témoignages, le rôle de la poésie et de la littérature n’apparaît pas aussi évident à première vue, mais une analyse plus approfondie de leur rédaction peut montrer comment ces deux réalités tendent à se fondre, notamment en ce qui concerne les questions ontologiques telles que l’identification de la nature de l’humanité et des droits eux-mêmes.

Archibald MacLeish, poète et dramaturge américain, a participé au processus de rédaction des deux documents et sa contribution à l’interprétation courante des droits humains est souvent passée inaperçue. Particulièrement, les efforts de MacLeish pour délier l’interprétation des droits comme étant étroitement liés à la tradition du droit naturel ou divin se situent dans le domaine de l’ontologie, en ce sens qu’ils encadrent l’éthique et la politique des droits humains dans une quête de « qui est » ou « qu’est-ce que » un être humain. Selon MacLeish, les difficultés rencontrées dans le façonnage de l’image des êtres humains, qui sont souvent considérées comme une limite à l’efficacité du même régime du droit humain lui-même, pourraient constituer une forme de force. La capacité d’adaptation et d’évolution est en effet, une caractéristique fondamentale des textes législatifs que sont la CNU et la DUDH, notamment en ce qui concerne les droits. Ces deux documents ne peuvent pas être considérés comme des vérités invariables et « données » concernant les droits humains et l’humanité elle-même, avec ses facettes les plus variées. Ils devraient être capables d’évoluer constamment vers l’inclusion de toutes les facettes de l’identité humaine. L’héritage de MacLeish et de ses écrits devient particulièrement opportun en ce qui concerne la question de l’universalité ou de la particularité des droits humains : les législateur.rice.s de la DUDH, un peu comme les poètes le font en traduisant les émotions dans leurs écrits, ont été chargé.e.s de la tâche extrêmement difficile de traduire la nécessité éthique de sauvegarder les droits humains dans une réalité qui était, et est toujours, composée de facettes, et en constante évolution.

La poésie des droits humains prend donc la forme de la recherche humaine perpétuelle d’identité et d’appartenance : les écrivain.e.s, les législateur.rice.s et les politicien.ne.s définissent les contours de leur humanité et de celle de leurs pairs par l’art littéraire. Ce voyage infini qui passe par la découverte de ce qui, par essence, est humain en matière de droits, a été le sujet d’analyse de plusieurs littéraires. Nombreux.ses sont celleux qui ont tenté de recoudre ses bords effilochés pour en faire une toile cohérente, capable de définir ce qui est humain et ce qui ne l’est pas, permettant ainsi sa traduction ultérieure en termes politiques. 

Aussi complexe qu’il soit de retracer l’influence concrète qu’ont eue les œuvres littéraires sur le déclenchement de mouvements politiques et de changements socioculturels, il est possible de saisir la manière dont des auteur.rice.s tel.le.s que Maya Angelou, Emily Dickinson et Sylvia Plath ont non seulement reflété un environnement en évolution dans le domaine des droits, mais aussi stimulé, par leurs écrits, de nouveaux changements. Le recueil posthume de poésie Ariel de Plath est considéré par beaucoup comme un manifeste du processus d’identification de la femme du 20e siècle et du mouvement féministe en développement. L’œuvre de Plath parvient à englober les difficultés de la condition féminine au milieu des années 1900, par le biais d’un processus d’auto-découverte littéraire fondé sur la dissonance avec les attendus sociétaux des femmes à l’époque. À travers des poèmes comme « Dame Lazare » ou « Papa », la poétesse délie les femmes d’une interprétation préconçue de leur identité qui était, à l’époque, orientée par le regard dominant du patriarcat. Le décalage entre l’attendu et la réalité devient particulièrement évident dans des poèmes comme « Champignons ». Ce poème a été particulièrement exploité par les mouvements féministes plusieurs années après sa publication, en raison de sa capacité à décrire efficacement le double standard entre les hommes et les femmes dans la société de l’époque. Plath a habilement utilisé le sous-bois pour planter une scène dans laquelle des individu.e.s, en particulier des femmes, ont été contraint.e.s par un dessein naturel à entrer dans des cases encombrées, et se conformer à des stéréotypes. Ce poème a une valeur fondamentale dans la relation entre la littérature et les droits humains, car il représente l’un des témoignages les plus importants de la manière dont la conscience d’un changement nécessaire et de la revendication des droits s’est développée à travers la poésie.

« Parfaitement atones,
Élargissent les recoins,
Se faufilent dans les trous. 

Nous Tenons un régime d’eau,
De miettes d’ombre,
Fades, ne demandant

Que peu ou rien.
Nous sommes tant !
Nous sommes tant !!

Nous sommes étagères, nous sommes
Tables, nous sommes dociles,
Comestibles,

Fouisseurs et déblayeurs
Malgré nous.
Notre espèce se multiplie :

Demain matin
Nous aurons hérité de la terre.
Un pied dans la porte. »

Sylvia Plath. (1960). « Champignons ». Le Colosse et autres poèmes.

La poésie et les droits humains semblent s’unir dans le sens où le moyen poétique a été utilisé, et continue de l’être, comme un instrument pour, d’une part, définir l’humanité dans ses représentations et interprétations les plus variées, et d’autre part, pour réclamer les droits et besoins qui sont inscrits dans ces nouvelles conceptions de l’identité. Ariel de Sylvia Plath ou les préambules de MacLeish n’ont peut-être pas représenté des destinations dans le voyage vers une égalité universellement reconnue, mais ils ont sans nul doute constitué des tremplins vers celle-ci. La constante recherche pour l’identité de chacun.e, traduit en poésie et en prose, permet aux écrivain.e.s et aux lecteur.rice.s de s’interpréter plus profondément, de prendre conscience de leur propre essence et des nécessités qui en découlent. L’écriture n’est donc pas seulement la création, mais aussi l’action. Elle est le manifeste du moi, mais aussi des besoins du moi. Elle est la définition de l’humanité à travers l’exploration de ses expériences.

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