Un « frisson révolutionnaire qui passera vite » ?

Cette phrase est extraite d’une chronique de Sophia Aram, datant du 29 avril sur France Inter, « De la Seine à Science-Po » (en référence au très critiqué slogan « From the River to the Sea »*). Cette chronique n’est qu’un exemple parmi la vague d’éditos, prises de parole, articles, etc. critiquant, voire moquant comme ici, les étudiant.e.s français.es (mais pas seulement, le mouvement étant né aux États-Unis depuis plusieurs mois déjà) s’étant mobilisé.e.s ces dernières semaines en soutien à la population palestinienne, victime d’un massacre perpétré par le gouvernement israélien suite aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023 (des mobilisations avaient déjà lieu depuis le mois d’octobre, et depuis des années d’ailleurs, en soutien au peuple palestinien, mais ont pris une autre ampleur en France depuis le blocage de Sciences Po Paris par des étudiant.e.s fin avril, et d’autres campus par la suite).

Les réactions vont au-delà des critiques dans les médias et sur les réseaux sociaux puisque la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse a annoncé suspendre ses subventions à Sciences Po. Différents arguments sont utilisés pour décrédibiliser les mobilisations : l’usage de slogans sans les relier à leur contexte*, l’utilisation de mains rouges, pourtant courante en manifestations, notamment écologistes, pour faire référence au sang sur les mains des criminel.le.s (les étudiant.e.s ont été accusé.e.s de faire référence au massacre de Ramallah en 2000 lorsque deux soldats israéliens avaient été tués et l’un des meurtriers avait brandi ses mains ensanglantées ; ce qu’iels ont immédiatement démenti). Tout ceci concourt à les renvoyer à leur jeunesse ou à leur statut de privilégié.e.s pour les décrédibiliser, comme Sophia Aram dans sa chronique : « dont le combat pour la Palestine est beaucoup plus récent que celui qu’ils mènent contre l’acné ».

Ces divers arguments sont loin de parler du fond de cette action qui relève simplement de jeunes personnes sensibilisées aux droits humains et souhaitant agir à leur niveau, avec leurs moyens, pour faire bouger les institutions qui soutiennent toujours, ou ne condamnent pas, la politique du gouvernement israélien ainsi que les crimes et violations des droits humains qu’il commet.

Enfin, est également évoqué le sujet de la récupération politique, avec notamment le soutien affiché de la France Insoumise et la présence de ses représentant.e.s sur les rassemblements et blocages. Ce point critique peut se comprendre, mais ne doit pas servir comme argument pour décrédibiliser une démarche sincère de militant.e.s pour les droits humains, qui n’ont pas nécessairement cherché ou souhaité cette affiliation politique.

Le traitement médiatique de la question palestinienne révèle également un problème de liberté d’expression au sujet du conflit israélo-palestinien et dans notre société de façon plus large. En effet, il apparaît difficile de critiquer la politique du gouvernement israélien sans recevoir d’accusation d’antisémitisme, quand ce n’est d’apologie du terrorisme. Mathilde Panot et Rima Hassan (LFI) sont l’exemple de ces accusations diffamatoires, ayant été entendues par la police pour « apologie du terrorisme » le 30 avril, après leurs propos liés à ce conflit. Au-delà de ne pas vouloir entendre les revendications humanistes de ces mouvements, ces procédures-bâillon menacent la liberté d’expression et mettent en danger l’État de droit dans nos sociétés démocratiques.

Et les autres causes ? 

Lorsque des groupes de militant.e.s font du bruit sur un sujet plutôt qu’un autre, il leur est souvent rétorqué « et qu’en est-il de [autre cause] » ; « on ne vous a pas entendu à ce sujet », etc. et ce, quel que soit notre cheval de bataille. Dans sa chronique, Sophia Aram va jusqu’à parler de l’« indécence de leurs brillantes indignations sélectives ». 

Il est important, notamment pour nous dans GROW, de tenir une position intersectionnelle et de ne pas se focaliser sur une lutte ou un groupe et en oublier les autres. Pour autant, nous restons humain.e.s, avec nos limites et nos défauts. 

Tout le monde commence quelque part dans son militantisme. Tout le monde a ses sensibilités. Certain.e.s vont peut-être plus se mobiliser pour l’Ukraine, d’autres plus pour les Iraniennes, pour les Yéménites, d’autres encore pour des questions environnementales, ou bien liées à la santé mentale, et un sujet peut être une porte d’entrée vers un autre. Toutes ces causes sont nobles, et il serait cruel de vouloir décrédibiliser le combat pour l’une d’elles, sous prétexte d’avoir moins parlé d’une autre. Il est simplement impossible d’être expert.e.s en tout, et surtout d’avoir assez d’énergie (et de temps) pour se battre au quotidien pour la multiplicité de conflits, d’injustice, de malheurs qui sont en cours dans le monde (il y avait plus de 15 conflits en 2023 selon l’ONU).

La question de la Palestine est centrale et mobilise autant, car elle croise énormément de sujets, faisant que beaucoup peuvent se reconnaître et se sentir particulièrement touché.e.s par cette cause. Nombreux.ses sont celleux qui ont été sensibilisé.e.s aux droits humains par la question palestinienne. Colonialisme, justice internationale, fonctionnement et (im)puissance des institutions internationales, influence occidentale, islamophobie, protection des civil.e.s, droits des enfants, droits des femmes, droits des réfugié.e.s, accès à l’information, libertés de circuler, droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, et questions plus techniques d’apartheid ou de génocide, autant de sujets qui ressortent de l’étude du conflit Israélo-palestinien et qui font que cette question, plus qu’une autre, fait réagir. Et tout simplement, les chiffres, astronomiques, plus de 30 000 mort.e.s depuis le mois d’octobre, majoritairement des civil.e.s, incomparables à d’autres contextes, font qu’il peut être juste impossible de faire comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait d’une attaque proportionnée, de riposte, ou répondant uniquement d’un droit de se défendre. Des enfants meurent, tous les jours, depuis des mois et le gouvernement israélien ne perd pas ses soutiens. Plus aucune université n’existe à Gaza. Toutes ces données expliquent et justifient le mouvement des étudiant.e.s.

Au lieu de vouloir les décrédibiliser à tout prix, de vouloir leur chercher de mauvaises intentions, à l’heure où l’extrême droite est si puissante, où les autocraties se multiplient et continuent de maltraiter leurs populations, leurs minorités, de limiter les perspectives de leur jeunesse, vous devriez être fier.ère.s que cette génération ne reste pas les bras croisés. Fier.ère.s de cette génération qui se mobilise, qui n’est pas capable d’étudier les relations internationales, les sciences politiques, la philosophie, et toutes ces valeurs qui leur sont transmises dans ces cours, en laissant faire, à quelques centaines de kilomètres des amphithéâtres des universités, tout le contraire de ces théories qui leur sont enseignées. Personnellement, je suis fière de pouvoir m’y reconnaître.

*Contexte du slogan « From the River to the Sea, Palestine will be Free » (De la rivière à la mer, la Palestine sera libre) : Ce slogan est critiqué, car, selon ses détracteur.rice.s, il appellerait à la destruction de l’État d’Israël (appelant à la création d’un État palestinien, allant du Jourdain à la mer Méditerranée). Pourtant, 

« Le slogan est né des revendications de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui, dès sa formation en 1964, avait appelé à la création d’un État unique qui s’étendrait de la Méditerranée (« la mer ») au Jourdain (« la rivière »), le fleuve qui marque à l’est la frontière entre la Jordanie et Israël – mais donc aussi en partie entre la Jordanie et la Cisjordanie. Une zone géographique qui engloberait le territoire de la Palestine tel qu’il existait avant la résolution de l’ONU de 1947, le partageant en deux États (l’un arabe, l’autre juif). » (Quelle est l’origine du slogan polémique « From the river to the sea » utilisé par les soutiens de la Palestine ?, Libération)

Cette formulation est donc scandée par les militant.e.s en hommage à cette idée d’une union possible, mais surtout pour appeler à la fin des discriminations perpétrées à l’encontre du peuple palestinien. 

Pour aller plus loin…

Entretien avec Rony Brauman sur Arrêt sur image, « Rony Brauman, face aux arguments d’Israël ».

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