Le 15 février 2023, France 5 a diffusé un nouvel épisode de son émission « La fabrique du mensonge » dédiée à l’affaire qui avait opposé l’acteur Johnny Depp et l’actrice Amber Heard l’année dernière, marié.e.s entre 2015 et 2017. Dans ce reportage de Cécile Delarue et Elsa Guiol, on découvre le pouvoir d’influence des mouvements masculinistes.

Les mouvements masculinistes

Les masculinistes forment une communauté, principalement masculine, mais pas uniquement. Ces personnes estiment que la place des femmes n’est pas là où elle est ces dernières décennies, avec une vision plus traditionnelle des rapports entre les femmes et les hommes (en restant bien sûr dans une vision très binaire de la société). L’égalité serait un danger pour l’organisation de la société. Il s’agit d’une idéologie très large, avec des courants différents. Par exemple, une partie d’entre eux, les incels, des « célibataires involontaires », reprochent aux femmes leur misère sexuelle et sont reconnus comme un groupe terroriste aux États-Unis, des tueries sexistes ayant déjà eu lieu. L’extrême droite américaine y a aussi une place, se nourrissant de ces discours ultra-conservateurs et anti-féministes. Un des masculinistes les plus célèbres, Andrew Tate, a des millions de vues et d’abonné.e.s sur les réseaux sociaux et ses contenus haineux sont toujours en ligne, malgré son arrestation pour proxénétisme. Le mouvement #MeToo, démarré en 2017, qui a entraîné la libération de la parole des femmes sur les violences qu’elles avaient subies, a accru leur nombre et leur haine.

Ce mouvement extrêmement puissant sur internet est capable de s’organiser telle une « armée » en ligne. En effet, ce qui devient dangereux et qui explique leur puissance est que leurs membres sont très au fait du fonctionnement des outils informatiques, notamment des algorithmes sur les réseaux sociaux, leur permettant d’agrandir leur audience et de brouiller tout discours différent au leur. Leurs « soldats » vont harceler leurs victimes de messages remplis de haine, de misogynie, de montages dégradants et/ou menaçants, de menaces directes en tout genre (allant de l’agression au meurtre, en passant par le viol), de façon, la plupart du temps, anonyme. Ils diffusent des informations erronées sur les réseaux sociaux dans le but de convertir d’autres personnes à leur cause. Une mission qu’ils se sont donnés dans le cadre de l’affaire Heard/Depp pour décrédibiliser Amber Heard, reconnue victime de violences conjugales en 2018, et dans un sens plus large, tout le mouvement #MeToo.

L’affaire Heard vs Depp

Revenons d’abord sur le contexte de ce procès. En avril 2018, Amber Heard publie une tribune dans The Sun, un journal britannique, dans laquelle elle se présente comme une victime de violences conjugales, sans jamais nommer Johnny Depp. Il porte plainte en juin, expliquant que ces accusations nuiraient à sa carrière. Un premier procès en diffamation a lieu contre The Sun à Londres en 2020, un procès que Depp perd, sans pouvoir faire appel. La justice anglaise retient contre lui 12 des 14 chefs d’accusation de violence conjugale : il n’y a donc pas diffamation. Dans l’impossibilité de faire appel de la décision, Johnny Depp demande alors un nouveau procès, cette fois directement contre son ex-femme, en Virginie aux États-Unis, qui a lieu en 2022. Un procès qui est filmé et diffusé en direct sur Court TV, une chaîne dédiée aux affaires judiciaires et à ce genre de retransmissions. À noter également que dans le procès aux États-Unis, au contraire de celui de Londres, le verdict est pris par sept juré.e.s de la société civile, et non des juges, qui peuvent ainsi, malgré toutes précautions, être davantage influencé.e.s par ce qu’iels voient circuler sur les réseaux sociaux que des juges professionnels.

La volonté de le filmer venait de l’équipe de Johnny Depp, bien au fait de l’existence de ces mouvements, qui pourraient jouer un rôle dans sa défense et la prise de position, en sa faveur, de l’opinion publique (but final recherché puisque sa plainte était justifiée par un impact négatif sur sa carrière).

Les réseaux sociaux se sont très rapidement emparés de cette affaire, et en particulier, des blogueurs masculinistes. Le procès était suivi par des milliers de personnes en direct, notamment sur des chaînes Twitch et autres plateformes, où ces influenceurs masculinistes pro-Depp commentaient, pendant des heures, les différents témoignages, glorifiaient les propos de Depp et de son équipe de défense.

Le reportage de Cécile Delarue et Elsa Guiol nous montre bien que cela n’était pas dû au hasard. En effet, on apprend que l’avocat de Depp s’est rapproché des youtubeurs et blogueurs masculinistes avant le début du procès et leur a fourni des extraits d’enregistrements de disputes, d’échanges, de messages du couple. Ces personnes en ont ensuite fait des montages pour faire apparaître une innocence de la part de Johnny Depp et diaboliser Amber Heard. Cette méthode de modification de l’information, en reprenant de simples extraits, en les réorganisant à leur avantage, a été utilisée tout au long du procès pour faire basculer l’opinion publique. 

Le documentaire présente également l’exemple d’une palette de maquillage qui a été utilisée pendant le procès pour illustrer qu’elle se maquillait pour masquer les marques de ces blessures, une palette Milani. La marque a réalisé une vidéo TikTok disant que cette gamme n’existait pas au moment des faits. Seulement, Amber Heard n’avait jamais affirmé que c’était précisément ce produit qu’elle avait utilisé. Cependant, pour l’opinion publique, ceci est devenu la preuve ultime de son mensonge, et Milani a réussi son énorme coup de publicité, en se plaçant du côté de la majorité.

Nous l’avons dit, les masculinistes maîtrisent les algorithmes. Ils ont par exemple créé le #justiceforJohnnyDepp, qu’ils ont réussi à mettre et tenir dans les tendances de Twitter. Quand quelque chose est en tendances, le contenu peut apparaître sur le fil d’actualité d’utilisateur.rice.s qui ne suivaient pas encore cette histoire. Iels reçoivent alors des informations biaisées et peuvent, de cette manière, se rallier à leur cause. Nous sommes nombreux.ses à s’être laissé.e.s manipuler. Johnny Depp a été érigé en héros, victime qui se bat contre la fourberie d’une femme, Amber Heard, présentée en folle, menteuse et manipulatrice. Elle a été totalement décrédibilisée, ses témoignages ont été tournés en dérision. L’exemple le plus choquant est son témoignage racontant une scène de viol conjugal, qui est devenu une tendance sur TikTok que les internautes reprenaient sous le ton de la moquerie. Souvent d’ailleurs par de très jeunes, ne cherchant pas à comprendre l’impact que cela peut avoir sur toutes les victimes. Une pétition en ligne pour faire retirer Amber Heard du film Aquaman 2 a récolté 4 millions de signatures, ce qui en fait la pétition la plus signée au monde contre une personne (selon l’actrice Rose Lamy). Cela semble paradoxal alors que de nombreuses autres causes semblent mériter autant d’attention et pourtant, n’attirent pas autant de clics.

Ce pouvoir tout-puissant des masculinistes est en partie expliqué par le manque d’intérêt des médias traditionnels. En effet, un procès opposant deux stars du cinéma est estimé du niveau de la « presse people », ne voyant pas l’impact plus large qu’il pouvait avoir. Ce vide médiatique a donc laissé toute la place au récit masculiniste. 

Quel signal pour les victimes ?

L’affaire Depp-Heard, par son exposition sur les réseaux sociaux et son omniprésence durant toute la durée du deuxième procès, a montré une triste réalité. Alors qu’on pourrait penser que ce seraient des personnes plutôt âgées, aux idées conservatrices qui relaient ce genre de propos, cette affaire a montré que de nombreuses personnes de moins de 25 ans participaient à cette haine. Cette génération post-#MeToo semble attirée par un discours réactionnaire, partant du principe que les femmes mentent, jouant le jeu de la culture du viol, cherchant des excuses à l’agresseur, donnant une part de responsabilité aux victimes et dénigrant la gravité des violences subies. 

Un des révélateurs de ce procès est le fait que pour être crue, entendue, soutenue, une victime doit correspondre à l’image que la société a de la « bonne victime » : une victime fragile, innocente, faible, qui reste silencieuse, victime d’un homme impopulaire, que l’on sait violent. Seulement, dans le cas de cette affaire, c’est bien plus complexe que cela. Elle est froide, elle est belle, en tant que jeune actrice qui monte face à un homme puissant et célèbre, on la pense intéressée. En tant qu’actrice, ses pleurs sont jugés comme de la comédie. Aussi, c’est mal connaître les relations abusives que de croire qu’une victime ne voudrait plus avoir affaire à son ex-compagnon violent, ne serait jamais tenté de revenir faire lui comme cela a été argumenté contre Heard. Cette haine à l’égard de Heard renvoient à des notions dépassées de la « victime parfaite » qui impliqueraient qu’une femme qui se défend ou insulte un.e partenaire abusif.ve et qui en parle ensuite n’est pas une victime. Il apparaît que dans ce couple, il y a eu de la violence des deux côtés, mais cela ne doit en rien effacer le fait qu’elle est une victime de violences conjugales.

Johnny Depp, à l’inverse, ne peut pas, pour l’opinion publique, être un agresseur. Il est un merveilleux acteur, il a des enfants, et Vanessa Paradis, sa première épouse, a témoigné en sa faveur. Il fait du show, le public rit de le voir boire à 9h du matin et insulter son épouse. Le parti pris est clair : on veut que ce soit son acteur préféré qui gagne.

Un influenceur masculiniste a écrit : « Ce procès est plus important que Depp. Ce que je veux faire est détruire l’idée qu’il faut croire les femmes. Le droit des hommes compte ». Ce procès apparaît réellement comme une revanche des masculinistes contre le mouvement #MeToo. Il montre une nouvelle fois que quand une femme parle, elle se met en danger, et pas seulement face aux masculinistes revendiqués, également face à l’opinion publique pouvant être si facilement influençée.

Johnny Depp a gagné ce procès. Il a retrouvé sa popularité perdue, est acclamé comme un héros. À côté de cela, Amber Heard, qu’un tribunal a pourtant reconnue comme victime de violence conjugale et qui est, en plus de cela, victime, depuis des années maintenant, de la haine en ligne, doit vivre sous un faux nom en Europe. Peu importe ce que l’on pense de Depp ou de Heard, ce qui s’est déroulé en marge de cette affaire est très inquiétant pour toutes les femmes, et pour toutes les victimes.

Pour aller plus loin…

« La fabrique du mensonge, Saison 3 : Affaire Johnny Depp/Amber Heard – La justice à l’épreuve des réseaux sociaux », France TV (En partenariat avec Marie-Claire et France Info), réalisé par Cécile Delarue et Elsa Guiol diffusé le 12 février 2023, disponible ici jusqu’au 12 juillet 2023 – 1h42.

Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique, de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, film-documentaire, 2022.

2 Comments

  1. It’s disturbing that you take a spouce abuser like amber heard and use her to silence and beetle MOST women then claim it’s for our own good

    What’s the matter? Not enough female murderers for you to defend?

  2. Thank you so much for representing TRUTH here and opening eyes to the true impetus behind Depp’s actions – misogyny so prevalent in this world. As the feminine rises to her true power alongside the masculine, all the fear around losing power that the toxic masculine carries gets expressed through actions we are seeing across the planet. It is so prevalent that most people are not even conscious of how deeply ingrained the fear and hatred of the feminine truly is.

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