« Si vous vous demandez si l’art peut changer le monde, je répondrai oui en toute confiance. Il a changé mon monde. »1

Ce sont ces mots, prononcés par un homme détenu dans la prison de Tehachapi, en Californie, qui donnent tout son sens au travail de JR en tant qu’artiste.

Dans son film Tehachapi, l’artiste retrace son projet de collage en prison, depuis la genèse de l’idée jusqu’à son accomplissement, mettant en lumière le parcours des divers.es participant.e.s.

Sensible aux questions sociales, JR réalise des collages dans des lieux publics comme dans la rue pour éveiller à certaines problématiques. Dans ce cas particulier, il a voulu ouvrir les yeux du grand public sur le problème qu’est la prison, à défaut d’être une solution. 

Son projet « The Yard » à Tehachapi était simple : photographier de haut chacun des 33 détenus participant pour ensuite créer l’illusion d’un trou dans lequel ils se trouveraient, et coller cette image dans la cour de la prison. Simple en apparence, pourtant aux nombreuses retombées bénéfiques : en plus d’attirer le regard du monde sur ces détenus et par corrélation sur la question de la détention et du traitement des prisonniers, la réalisation de cette œuvre a permis à des hommes, rayés de la société, d’être enfin vus et considérés. En permettant à chacun de raconter son histoire à travers l’application « JR murals », l’artiste humanise les détenus : « J’ai été traité comme une personne et non comme un détenu »2 témoigne un de ces hommes dans le documentaire. « Ce projet nous a redonné vie  »3.

En choisissant la prison de Tehachapi, prison de sécurité maximale où règnent les guerres de gang et qui fait la une des journaux pour de sombres histoires, JR décide de voir les hommes derrière les détenus, et cela se ressent dans son film. Les rires, les conversations, les repas partagés entre l’artiste, les détenus et les gardiens de la prison mettent en perspective leur prétendue dangerosité dans un état où, jusqu’en 2012, 3 délits mineurs menaient à la prison à perpétuité.

Par ce projet, JR rend aux détenus l’humanité que la prison leur a prise : à Tehachapi, l’isolement n’est en fait pas une cellule, mais une cage, en plein air. Un des participants au projet a passé 14 ans dans une de ces cages, battues par les vents californiens, au milieu du désert : « Pendant 14 ans, le seul contact humain que j’ai eu, c’était d’être menotté. C’est un peu déshumanisant »4. Cette déshumanisation des prisonniers se ressent aussi dans ce témoignage d’un homme : « Vous nous traitez comme des gens normaux… ça fait longtemps »5

Grâce à l’art, JR a contribué à réinstaller le dialogue dans la prison de Tehachapi. Trente-trois hommes, peu importe leurs origines, détenus dans le niveau le plus élevé de sécurité d’une des prisons les plus dangereuses de Californie, ont œuvré, ensemble, à la réalisation d’un projet artistique qui leur a permis de montrer leur visage et leur histoire au monde. Un échange a été organisé entre un homme, dont le fils a été tué par une balle perdue lors d’un affrontement de gangs, et les détenus. Le père, malgré son deuil, déclare « Je vous vois comme des hommes bien »6. Le dialogue a une place cruciale dans ce film : JR lui-même déclare, en parlant d’un détenu qui avait une croix gammée tatouée sur la joue : « Quand je l’ai vu avec la croix gammée, j’ai eu peur. Mais ensuite, nous avons parlé »7. Cet homme, Kévin, est à ce jour un homme libre. Il a fait effacer son tatouage et était présent en France au début du mois de juin 2024 avec JR, pour témoigner lors des avant-premières dans tout le pays. 

Alors, certes, comme le dit JR dans son film Tehachapi, « on n’instaure pas la paix en un claquement de doigts », mais cette œuvre et ce film y auront grandement contribué, en témoignent les 11 personnes libérées depuis le projet, et les 15 autres transférées dans des plus bas niveaux de sécurité. 

Ce film documentaire est d’une importance cruciale aujourd’hui. Avec « The Yard », JR a signé un véritable message d’espoir et de confiance, comme le chante un des participants au projet :  « Dieu a envoyé JR pour recoller les morceaux de nos cœurs brisés […] il nous redonne espoir »8. Il est des films qui changent le regard, et celui-ci en fait partie.

References
1 Traduction libre, originale : « If you ask yourself if art can change the world, I will say yes with confidence. It changed my world. »
2 Traduction libre, originale : « I was treated like a person and not an inmate »
3 Traduction libre, originale : « This project made us alive again »
4 Traduction libre, originale : « For 14 years the only human contact I had was to be cuffed up. It’s a little dehumanising »
5 Traduction libre, originale : « You guys treating us like normal people… it’s been some time »
6 Traduction libre, originale : « I see you as great men »
7 Traduction libre, originale : « When I saw him with the swastika, I got scared. But then we talked »
8  Traduction libre, originale : « God sent JR to pick up the pieces of our broken hearts […] he gives us hope again »

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