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Le 26 juillet, la garde présidentielle nigérienne renverse le gouvernement démocratiquement élu du président Bazoum. Pourtant, au lendemain du coup, les Nigérien.ne.s sont dans les rues de Niamey, célébrant la prise de pouvoir des militaires et agitant des drapeaux russes. Entre crise humanitaire endémique et réminiscences d’un passé colonial, la complexité de la situation au Niger pose la question de la légitimité d’une intervention humanitaire, et questionne la notion même de démocratie. Cet article vise à introduire les enjeux multiscalaires, de nature géopolitique, sociale, économique et humanitaire, que la crise nigérienne soulève. 

Un coup d’État qui se rêve révolution populaire

Depuis 2018, le Niger est en proie à une augmentation de l’activité djihadiste, et l’année 2021, coïncidant avec l’investiture de Bazoum, marque l’année la plus violente en nombre de victimes. L’organisation Boko Haram est active dans le sud-est du pays, tandis que des groupes liés à l’État islamique et Al-Qaïda sévissent dans le sud-ouest. 

Cependant, si le nombre d’incidents augmente en 2022, la létalité des attaques décline de manière régulière, le nombre de décès liés à ces attaques pour la même année ayant considérablement réduit. En outre, selon l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un groupe de surveillance des crises basé aux États-Unis, au cours des six premiers mois de 2023, les incidents violents au Niger diminuent de près de 40% par rapport aux six mois précédents. Plus spécifiquement, le nombre d’attaques sur les civil.e.s aurait été divisé par deux, un fait attribuable, selon l’ACLED, aux mesures du président Bazoum. 

Nombre d’acteur.rice.s internationaux.les craignent que ce coup ne facilite le développement tentaculaire du terrorisme dans la région. Le Niger est considéré par les puissances occidentales comme un bastion stratégique contre ces organisations, mais aussi contre l’influence russe, qui se traduit notamment par la présence du groupe Wagner dans la région1. Ces forces sont particulièrement prépondérantes au Mali et au Burkina Faso voisins, qui ont eux-mêmes été sujets à des coups d’État en 2021 et 2022 et ont depuis vu le taux de violence sur leurs territoires exploser. Pourtant, si des groupes pro-démocratie se réunissent pour protester contre la prise de pouvoir du gouvernement militaire, une importante vague populaire de soutien aux putschistes défile dans les rues de Niamey dans les jours suivant le coup, accompagnée par les régimes militaires du Mali et du Burkina Faso, tandis que l’armée nigérienne et la garde nationale rallient le CNSP. Ce dernier accuse par ailleurs la France d’avoir violé l’espace aérien nigérien ce mercredi en faisant décoller un avion militaire depuis le Tchad et d’avoir « libéré des terroristes ».

Carte des soutiens et des opposants au coup d’État au Niger, par « Jeune Afrique » dans Le Parisien

Crise humanitaire chronique sur toile postcoloniale

La situation humanitaire au Niger est endémiquement alarmante : selon la Banque mondiale, en 2021, plus de 10 millions d’individu.e.s vivaient en situation de pauvreté extrême, représentant environ 40% de la population. Le manque d’infrastructures et d’accès à des services de base, incluant l’eau et la nourriture, expliquent le mécontentement de la population nigérienne. Malgré la mise en place d’aides internationales, et notamment françaises, de forts sentiments anti-occidentaux se sont développés, se traduisant par le blocage d’un convoi de l’armée française en 2021 et des manifestations contre la présence des forces de l’opération Barkhane en 2022. La France est de fait toujours perçue comme une puissance impérialiste par les Nigérien.ne.s, un ressentiment aujourd’hui instrumentalisé par la junte, ce qui s’explique par le fait que cette dernière a placé le pays pendant toute la première moitié du 20ᵉ siècle sous l’égide de son empire colonial. Les vestiges de cet empire subsistent encore à ce jour sous la forme de politiques néo-coloniales comme en témoigne l’usage du franc CFA au Niger, une monnaie indexée à l’euro et garantie par le Trésor public français ou encore l’exploitation des ressources en uranium nigériennes par l’entreprise française Areva.

La crise humanitaire que le pays traverse a par ailleurs été exacerbée par une saison des pluies tardive et de longues périodes d’alternance entre sécheresse et inondations liées aux changements climatiques. L’ONG humanitaire internationale Action contre la faim prévoit que les cas de malnutrition infantile augmentent considérablement jusqu’à la fin du mois d’août, et estime qu’environ quatre millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire urgente. Outre des questions sanitaires, plus de 700 000 personnes se trouvent en situation de déplacement forcé dans le pays, incluant environ 400 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, 250 000 réfugié.e.s et 50 000 demandeur.se.s d’asile, ces personnes étant confrontées à des contraintes d’accès et des risques d’apatridie. La fermeture de 987 écoles au Niger, affectant près de 80 000 enfants, particulièrement dans la région de Tillaberi, est l’une des problématiques principales auxquelles le pays fait face. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies alarme sur les violences sexuelles et la violence basée sur le genre auxquelles les femmes et les filles font face.

Le coût du coup : les Nigérien.ne.s doublement tributaires des politiques internes et des réactions externes

Le coup risque d’exacerber ces problématiques, l’une des conséquences immédiates du putsch étant l’augmentation des prix des denrées alimentaires, mais aussi des médicaments, de l’essence et de l’électricité, comme rapporté par Reuters. Elle s’explique par la pression des sanctions internationales prises en réponse au coup qui réclament la restitution de l’ordre constitutionnel : le bloc économique de l’Afrique de l’Ouest CEDEAO a coupé les liens commerciaux et fermé ses frontières au Niger avec le soutien de la communauté de l’Union africaine, tandis que l’Union européenne et la France ont suspendu leurs aides financières ; une décision lourde de conséquences alors que l’assistance étrangère compte pour 40% du budget national du Niger. 

Par ailleurs, la déstabilisation politique, loin d’être un frein, permet au contraire le développement des groupes armés non étatiques, qui restent actifs et profitent de la situation pour poursuivre le pillage et la destruction de villages dans les zones fragiles. Le coup s’accompagne également de violations des droits humains directement perpétrées par le nouveau gouvernement militaire : la fermeture des frontières et de l’instauration d’un couvre-feu restreignent la liberté de mouvement des Nigérien.ne.s, tandis que la séquestration de Bazoum, sa famille et d’autres responsables politiques, qui seraient isolé.e.s sans eau ni électricité, viole le droit des prisonnier.ère.s ainsi que les libertés fondamentales des détenu.e.s, amenant défenseur.se.s des droits humains, organisations non gouvernementales et figures d’autorité internationale comme António Guterres à exiger leur libération.

Conclusion : intervention ou négociations, quid du futur de la démocratie nigérienne ?

La prise de pouvoir par la force bafoue le droit à l’autodétermination du peuple nigérien, le nouveau régime violant les concepts d’État de droit et de démocratie. La menace d’intervention de la CEDEAO, certains de ses membres dont le président ivoirien Alassane Ouattara souhaitant déployer sa « force en attente » afin de remettre le président Bazoum à la tête du pays, soulève cependant la question de la légitimité et de la pérennité de l’usage de la force dans la mise en place d’un régime démocratique. Le Commissaire aux droits de l’Homme des Nations unies, Volker Türk, appelle ainsi plutôt les autorités militaires à fournir un « calendrier précis pour le retour à un régime civil démocratique et faire respecter le droit de toutes et tous les Nigériens et les Nigériennes à élire leurs dirigeantes et   dirigeants » alors que le gouvernement auto-proclamé poursuit son installation au pouvoir avec la nomination d’Ali Mahaman Lamine Zeine au poste de premier ministre. Une décision par ailleurs pas anodine puisque le nouveau Premier ministre, représentant de la Banque africaine de développement au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Gabon, mais aussi ancien ministre des Finances, avait précisément perdu son poste lors d’un coup d’État militaire en 2010. Il fait également partie du MNSD-Nassara, l’ancien parti unique du président Tandja, qui offrit son soutien à Bazoum lors des élections présidentielles de 2021. 

La réponse régionale à la situation actuelle, dont les probabilités qu’elle se base sur l’usage de la force se réduisent à l’aune de l’opposition d’une majorité des membres du Parlement de la CEDEAO à une intervention, sera déterminante pour le futur des droits humains au Niger. Reste à juger si son issue permettra réellement de sauver la démocratie nigérienne et son dèmos.

RÉFÉRENCES

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Le Parisien. (2023). Crise au Niger : putschistes, soutiens, Cédéao… quelles sont les forces militaires en présence ? Leparisien.fr [online] 11 Aug. Available at: https://www.leparisien.fr/international/crise-au-niger-putschistes-soutiens-cedeao-quelles-sont-les-forces-militaires-en-presence-07-08-2023-7YA6ZHRWKFGV3KLLQQBF3CVTNM.php [Accessed 11 Aug. 2023].

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Remerciements

Nous remercions Marie Chapot et Vincent Lefebvre pour leur relecture.

Le 26 juillet, la garde présidentielle nigérienne dirigée par Abdourahmane Tchiani (également appelé Omar Tchiani) a opéré un coup d’État et renversé le gouvernement du président Mohamed Bazoum. La Constitution de la 7ème République est alors dissoute, et ses institutions sont remplacées par le Conseil national pour la sauvegarde de la Patrie (CNSP). 

Les motivations derrière ce putsch seraient, selon la junte militaire, « la détérioration continue de la situation sécuritaire » et la « mauvaise gouvernance économique et sociale » du président Bazoum, des revendications qui justifieraient selon les militaires le renversement du gouvernement démocratiquement élu. 

Pour citer l’article :

DE LA PENA, P. & MORES, S. (2023). Coup d’État au Niger : tuer la démocratie pour sauver le dèmos ? Generation for Rights Over the World. growthinktank.org. [online] Aug. 2023.

References
1 Le groupe Wagner est un groupe paramilitaire russe actif dans le mercenariat, la désinformation et l’exploitation de ressources naturelles qui offre ses activités paramilitaires en l’échange de ressources et compensation financière. Au Mali, à la suite de deux coups d’État, et après l’échec de l’opération Barkhane, la force française antiterroriste qui coopérait avec l’armée malienne se retire, laissant la place aux mercenaires. Ces derniers sont cependant accusés de violations des droits humains, particulièrement à l’égard des civil.e.s qui sont sujet.te.s à de nombreuses exactions. Des expert.e.s de l’ONU exigent actuellement l’ouverture d’une enquête sur les éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par le groupe Wagner au Mali. Voir : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1977921/wagner-russie-mercenaires-afrique-ressources-geopolitique

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