« T’as 17 ans, quasi 17 et demi, une boule immense dans le cœur. Tu traverses la cour, t’espères croiser personne, que ça dure pas longtemps : une pilule, puis voilà, la honte, elle passera, t’es comme l’enfant percé que le futur remplira, mais c’est trop tôt pour ça. « Barbara, vous êtes sûre ? » On t’explique la vie, autour ça s’agite. Et puis y’a cette phrase qu’on te jette à la gueule « Mais vous n’êtes qu’une pute, c’est ce qui arrive, bah ouais. Vous vous êtes pas protégée et vous serez peut-être stérile, fallait y penser ». Bien sûr que tu y as pensé. 8h50, tu sors de cette pièce effondrée, pleine de culpabilité. »
Les premières strophes de la chanson « CHAIR » de la chanteuse francophone d’origine serbe Barbara Pravi sont aussi belles que marquantes. Du haut de ses 31 ans et 4 albums, celle qui a été révélée au public par sa participation en 2021 à l’Eurovision avec « Voilà » et son titre de révélation féminine de l’année aux Victoires de la musique 2022 ne se contente pas de chanter. Autrice, compositrice, interprète, elle met son combat contre les violences faites aux femmes en musique. Ses titres « CHAIR », « La Femme », « Lève-toi », et « Marianne », enregistré avec l’actrice iranienne Golshifteh Farahani, sont des exemples de cette voix qu’elle porte dans ses albums.
S’inspirant de son histoire personnelle pour écrire ses textes, elle compose notamment « CHAIR », inspirée de l’avortement qu’elle a vécu à 17 ans. Lors un entretien accordé à Vogue France dans le contexte de la constitutionnalisation de l’avortement, votée le 8 mars 2024, elle se confie, « Durant mon avortement, j’ai été accompagnée de manière hyper violente et hyper douloureuse. On m’a jugée, méprisée, insultée… […] Cette expérience a impacté le rapport à mon corps et à ma sexualité. J’ai, de plus, ressenti énormément de culpabilité, accrue par ma solitude… Cependant, c’est aussi ce qui m’a construite, même en tant qu’artiste. ».
En 2024, la France devient le premier pays du monde à inscrire « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » dans sa Constitution. Près de 50 ans après la loi Veil sur la dépénalisation de l’avortement, et à l’heure où, aux États-Unis, le droit à l’avortement n’est plus garanti par le droit fédéral, mais laissé à la discrétion des gouvernements des États, les droits des femmes sont de plus en plus menacés. Le droit à l’avortement pour toutes les personnes qui auraient besoin d’y recourir est une problématique de santé publique. C’est un droit humain fondamental et nécessaire ; et sa criminalisation, loin d’empêcher cet acte médical (sur 1000 personnes, le taux d’avortement est à 37 dans les pays où il est interdit contre 34 là où il est permis selon l’Institut Guttmacher), crée plus de risques pour la santé des personnes vivant un avortement. L’accès à une intervention d’interruption volontaire de grossesse sûre, loin des avortements clandestins mettant en péril vie et santé des patient.e.s est essentiel. Les avortements « dangereux », c’est-à-dire non pratiqués par des professionnel.le.s de santé dans un cadre sain, sont la troisième cause de mortalité maternelle, soit 13% annuellement selon l’Organisation mondiale de la Santé.
En passant par la musique, Barbara Pravi met en scène son histoire pour éveiller les consciences et tenter, du moins, de libérer les femmes. « Je me suis rendu compte plus tard qu’il y avait une dimension politique dans mes textes, même si je ne les ai pas écrits avec cette idée. J’ai toujours été féministe, mais je n’en avais pas conscience. J’ai beaucoup lu, travaillé sur ces questions, pour pouvoir réfléchir ou proposer des solutions autres que dresser les femmes contre les hommes, être dans la détestation », dit-elle lors d’un entretien pour Le Monde.
Cette vision globale du féminisme qu’évoque Barbara Pravi se retrouve également dans d’autres de ses textes : pour la liberté, notamment des femmes iraniennes, elle chante « Marianne », contre le sexisme systémique, elle compose « La Femme », pour réveiller les foules et pour plus de justice, elle écrit « Lève-toi ».
Avec ses titres engagés qui donnent justement envie de se lever et de se battre, tantôt doux, tantôt forts, parfois les deux, Barbara Pravi est une artiste dont la musique parle aux oreilles et les paroles au cœur.
Pour aller plus loin…
Amnesty International. Éléments clés sur l’avortement, https://www.amnesty.org/fr/what-we-do/sexual-and-reproductive-rights/abortion-facts/.
Candellier, C. Chapot, M. Cottais, C. Girard, I. 2020. Droit à l’avortement dans le monde : un combat loin d’être gagné, https://www.growthinktank.org/droit-a-lavortement-dans-le-monde-un-combat-loin-detre-gagne/.
Guttmacher Institute. In Brief Facts on Induced Abortion Worldwide, https://youthsextion.wordpress.com/wp-content/uploads/2011/05/2011facts-iaw.pdf.
Rosemont, S. 2024. Rencontre avec Barbara Pravi : ‘J’ai la sensation d’être une guerrière hyper joyeuse’. Vogue France, https://www.vogue.fr/article/interview-barbara-pravi-ivg-constitution.
Schneider, V. 2024. Barbara Pravi : ‘J’ai toujours été féministe, mais je n’en avais pas conscience’. Le Monde.fr. [online] 10 Mar., https://www.lemonde.fr/musiques/article/2024/03/10/barbara-pravi-j-ai-toujours-ete-feministe-mais-je-n-en-avais-pas-conscience_6221129_1654986.html.
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