C’est en expliquant aux lecteur.rice.s à quoi ne pas s’attendre que Francesco Cicconetti, créateur de contenu sur les réseaux sociaux et activiste LGBTQIA+ italien, ouvre son premier roman, Scheletro Femmina. En tant que consommateur du travail de Cicconetti, la publication d’un roman autobiographique sur sa vie m’a intrigué. À travers les pages, sa promesse de transcender le thème de la transition offre aux lecteur.rice.s un aperçu profondément personnel de l’humanité de Cicconetti à travers le prisme de son identité et de ses expériences de vie. Des amours juvéniles à la rupture des relations et aux difficultés de la vie adulte, Scheletro Femmina n’est pas seulement un roman sur le cheminement de la vie. L’identité de Cicconetti est un écho de la recherche profondément humaine d’appartenance qui traverse tout le roman : appartenance à un lieu, à quelqu’un.e, et, plus important encore, à soi-même.

Entre narration fictive et mémoires réelles, Scheletro Femmina est décrit par son propre auteur comme un roman « né d’une urgence », d’un besoin profond de revoir sa vie à travers les perspectives d’un observateur externe. À travers ses pages, le roman présente un mélange de personnes, de lieux et d’émotions qui entrent et sortent de l’existence comme des mémoires émergeant de l’esprit de Cicconetti. Néanmoins, à côté du caractère éphémère des environnements décrits par l’auteur, le dualisme entre les douleurs et les joies de la découverte de soi représente un fil conducteur qui lie l’ensemble de l’arc narratif.

Décrivant le processus d’écriture du roman, l’auteur rappelle le constant voisinage de la douleur et de l’amour, source d’inspiration paradoxale qui a constitué le point de départ de son écriture. Ces émotions existent à travers les pages dans leur authenticité brutale, révélant souvent des actions et des paroles dont, rétrospectivement, l’auteur lui-même n’est pas fier, mais qui nécessitaient un point de vue extérieur pour être bien comprises. « Certaines choses me font honte, mais je les ai écrites parce qu’elles sont vraies », a confié Cicconetti à l’équipe de Mondadori, la maison d’édition italienne à l’origine du roman, soulignant ainsi la vulnérabilité qui imprègne l’ensemble du texte.

Scheletro Femmina est, à première vue, le résultat du besoin de son auteur d’offrir une forme de représentation aux nombreux.ses individu.e.s trans et non-binaires qui, dans le climat sociopolitique italien actuel, se trouvent, au mieux, sous-représenté.e.s, et au pire persécuté.e.s. Le roman évoque les difficultés à accepter son identité, amplifiées par l’écho dissonant de la dysphorie de genre et des attentes de la société qui pèsent sur les épaules du protagoniste. En particulier, les difficultés du processus de transition, qu’elles soient émotionnelles ou purement bureaucratiques, racontées dans le roman, reflètent les expériences d’innombrables personnes trans et non-binaires en Italie.

En effet, la loi italienne a reconnu pour la première fois la nécessité de définir les contours juridiques du processus de transition en 1982 avec la loi 164. La disposition originale était le premier instrument juridique publié en Italie concernant l’identité de genre, mais, à l’époque, elle incluait une chirurgie obligatoire dans le processus en quatre étapes décrit dans son texte. Ce premier texte a été amendé en 2015 pour adopter une interprétation plus inclusive qui rend la chirurgie de réaffirmation du genre non obligatoire pour que la transition soit reconnue légalement.

Actuellement, le cadre juridique italien prévoit trois étapes dans le processus de transition d’un.e individu.e : la première étape consiste en une série d’entretiens psychologiques visant à examiner la vie du/de la sujet.te, à vérifier la présence d’une dysphorie de genre et l’impact de celle-ci sur sa vie quotidienne. La durée de ce processus peut varier selon les cas, mais dans tous les cas, il est souvent considéré comme terminé lorsque le professionnel médical estime que le.a patient.e est suffisamment stable pour procéder à une thérapie hormonale substitutive. Le traitement hormonal substitutif est la deuxième étape du parcours de transition et il est prescrit par un.e endocrinologue. Il consiste en l’administration d’hormones féminisantes (œstrogènes) ou masculinisantes (testostérone) à toute personne transgenre ou non-binaire désireuse d’aider leur corps et leur apparence à s’aligner sur leur identité de genre.

La phase bureaucratique est la dernière phase du processus actuel pour toute personne cherchant à effectuer une transition en Italie. Cette phase comprend le dépôt d’un appel par un.e avocat.e spécialisé.e dans la rectification du sexe auprès d’un tribunal résidant dans le lieu de résidence de l’individu.e demandant la transition. Cette phase a pour objectif de demander des ajustements au registre et/ou l’autorisation d’une chirurgie d’affirmation du genre. L’avocat.e qui fournit le recours produira concrètement la demande pour la séance sur la base de l’analyse de la documentation médicale et du registre, ainsi que de la volonté de l’individu.e d’entreprendre une telle procédure. Bien qu’il soit rare qu’un tribunal rejette ces recours, la procédure nécessite souvent plusieurs audiences et processus d’enquête, créant une série de limitations bureaucratiques qui retardent la réalisation nécessaire de la volonté du/de la demandeur.se.

Dans ce contexte socio-politique, le roman de Cicconetti décrit avec sapience les difficultés à trouver un espace pour soi-même dans un environnement capable à la fois de rejet et d’acceptation, ainsi que tout ce qui existe entre ces deux pôles. Un pharmacien transgresse les limites de la politesse en demandant une explication détaillée de la transition du protagoniste avant de lui vendre des médicaments hormonaux, un inconnu estime acceptable de mettre en doute sa masculinité et de faire honte à son physique, ce sont des personnages, mais ils sont beaucoup plus que de simples personnages. Ils représentent la facilité avec laquelle la discrimination et les micro-agressions se manifestent dans la vie quotidienne de nombreux.ses individu.e.s LGBTQIA+ en Italie et dans le reste du monde, ils représentent la transphobie vaguement dissimulée qui passe fréquemment inaperçue auprès du grand public. 

Néanmoins, parmi les difficultés évoquées, Scheletro Femmina accorde une large place à l’amour et à son influence sur le parcours du protagoniste. D’une relation tumultueuse avec une mère protectrice avec ses hauts et ses bas à une relation négativement affectée par les conflits du protagoniste, les relations et leur influence polarisante sur les émotions sont omniprésentes dans le roman. En particulier, la relation du protagoniste avec sa grand-mère maternelle, qui l’aide à surmonter son incertitude concernant la possibilité de révéler ou non son identité, est un rappel constant du soutien toujours présent de l’amour inconditionnel dans la vie du protagoniste. 

C’est dans cette coexistence que se trouve la vraie richesse du roman. En effet, Scheletro Femmina n’est pas seulement un roman sur la transition, c’est un outil que son auteur a utilisé pour affronter et se réconcilier avec son passé, avec toutes les différentes versions de lui-même qu’il a incarné au cours de sa vie. Le « besoin » qui, selon Cicconetti, a provoqué l’écriture de ce livre, est celui de raconter son histoire et d’observer la nature toujours changeante de l’humanité. Le personnage de Cicconetti incarne une forme unique de représentation, car il est non seulement un moyen d’identification pour de nombreux.ses individu.e.s trans et non-binaires, mais il sert aussi de boussole à l’auteur pour se comprendre lui-même, dans une magnifique fusion entre la représentation externe et la découverte de soi.

Francesco Cicconetti, Scheletro Femmina, Mondadori, 2022 (en italien).

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