Betty, publié en 2020, est le deuxième livre de la romancière et poétesse américaine Tiffany McDaniel. L’autrice s’est fortement inspirée de l’histoire de sa propre mère, Betty, née dans les années 1950 en Ohio. Tout au long du roman, elle se glisse dans la peau de sa mère et raconte sa jeunesse au cœur de la société rurale américaine de l’époque, entre rêves d’enfant et désillusions.  

Une famille à l’écart

Le livre s’ouvre sur la rencontre des parents de Betty, qui sont donc inspiré.e.s des grands-parents de Tiffany McDaniel. Si la mère de Betty est une femme blanche, son père, Landon, est issu des cherokees, un peuple autochtone des États-Unis. De leur union naissent huit enfants, métisses, qui connaîtront pour la plupart des destins tragiques, comme si une malédiction touchait la famille. Le monde que Betty imaginait alors se déchire petit à petit tandis que grandissent les discriminations liées à leur classe sociale et au racisme ambiant. 

La famille vit en effet plus ou moins en marge de la société, et si la jeune fille grandit bercée par la magie des histoires ancestrales racontées par son père, elle doit aussi faire face aux insultes racistes, aux moqueries sur son physique et au rejet violent de ses camarades à l’école. Son père, qui se décrit lui-même comme un « bouche-trou », un invisible, est également victime d’attaques racistes par les hommes avec lesquels il travaille. Il s’interroge ainsi : « On pourrait croire qu’au fond de la mine, où tout le monde est noirci par le charbon, les différences n’existent plus entre nous… Qu’on peut travailler ensemble ». En réalité, ses origines amérindiennes l’empêcheront toujours d’être considéré comme l’égal des autres habitant.e.s de la petite ville de Breathed. Dans les contreforts des Appalaches, dans les années 1930 comme dans les années 1960, il est difficile d’avoir « la peau pas noire (…) mais pas blanche non plus ».

Pourtant, le père de Betty ne se laisse pas atteindre et demeure un homme rayonnant, une figure paternelle qui réconforte, qui comprend, qui enseigne et embellit. Landon fait du roman un véritable hymne à la nature ; une nature qu’il rend vivante et poétique, nous incitant à l’écouter et à la préserver.

Des difficultés d’être femme

Le roman met également en exergue le contraste qui saisit Betty entre son héritage cherokee matrilinéaire où les femmes jouent un rôle central, et la vie américaine rurale blanche qui met les femmes au ban de la société. Betty grandit avec les histoires que lui conte son père sur ses ancêtres féminines puissantes, tandis qu’à l’école, on l’oblige à mettre une jupe et on lui explique qu’elle ne sera jamais l’égale des hommes.

« À ce moment-là, j’ai compris que les pantalons et les jupes, tout comme les sexes, n’étaient pas considérés comme égaux dans notre société. Porter un pantalon, c’était être habillé pour exercer le pouvoir. Porter une jupe, c’était être habillée pour faire la vaisselle ».

Être une femme à cette époque, c’est également être victime de violences sexuelles et de l’omerta qui les entoure. Betty découvre peu à peu un univers où l’inceste et le viol sont banalisés et considérés comme des pratiques inévitables au sein de chaque famille. Leur omniprésence est saisissante tant elles semblent faire partie du destin de toutes les femmes de l’entourage de Betty.

« Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière dans la cuisine tous les samedis ». 

Pour conclure

Afin d’affronter les horreurs de son monde, Betty va puiser son courage dans l’écriture. Elle confie sa douleur à des pages qu’elle enfouit sous terre au fil des années, les mots lui permettant de transcender les tragédies dont elle est témoin.

Douceur, violence et poésie se côtoient tout au long de ce roman initiatique alors que la « petite Indienne », comme la nomme affectueusement son père, grandit au milieu de secrets de famille et découvre ce que signifie être femme, métisse et précaire.  L’œuvre de Tiffany McDaniel est sans doute un futur grand classique américain, qui se veut à la fois un réquisitoire contre les discriminations et une célébration des invisibles de la société américaine.

Nous remercions Shérine Maameri et Marion Sanchez pour leur relecture.

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