Dites-moi, la saumure a-t-elle supprimé l’amertume ? 

Le glaçage l’a-t-il suffisamment adouci pour votre palais ?

Insatiable et avide, comment avez-vous pu le tolérer ? 

– échangeant son sang pour la préservation. Sa chair pour la vôtre.

 

La lumière pénétrante de la fin juin traversait les fenêtres à vitraux, alors que le froid du chêne se heurtait à la chaleur suffocante de l’air. Des rangées de jambes pendaient des bancs alors que mon regard remontait le long de la robe du prêtre qui se tenait à quelques mètres de moi et, avec chaque mot, mon corps descendait un peu plus dans la pénombre. « La racine du mal prospère dans le refus de se repentir, alors, mes enfants, confessez-vous, faites amende ». Les mots résonnaient jusqu’au fond de la chapelle, et tout ce que je pouvais faire, c’était me recroqueviller en réalisant qu’aucun niveau de pénitence ne pourrait réparer ce que j’étais, que peu importe la force avec laquelle mes doigts se serraient, je ne valais pas la peine d’être sauvé.

Pour certain.e.s, la religion est communauté, pour d’autres, elle est refuge, et pour d’autres encore, elle est un moyen de transmettre le sentiment d’appartenance à une entité plus grande. Néanmoins, pour d’innombrables personnes queers, la religion peut représenter une forme de contrôle oppressif, un système d’isolement et une structure dans laquelle le jugement et l’abus sont perpétrés. Ces mécanismes d’ostracisme émotionnel et éthique constituent les principaux facteurs de traumatismes religieux et du supposé conflit entre les valeurs religieuses et les identités queers. 

Les traumatismes religieux sont le plus souvent définis comme une forme de traumatisme indirect qui influence négativement la vision du monde des victimes, à la suite de diverses expériences vécues au sein d’une communauté religieuse qui expose ses membres à des messages d’endoctrinement, à la coercition, à l’humiliation, à la honte et à l’abus. Cette forme de manipulation émotionnelle est particulièrement insidieuse, car elle oblige les victimes à remettre en question leur droit à l’un des sentiments les plus humains, celui de la recherche d’un sentiment de communauté, d’appartenance. Le lien affectif entre un.e individu.e et un groupe social est intrinsèquement humain, parce qu’il résulte du besoin primordial de sécurité, de la protection que peut offrir une union physique (mais souvent aussi émotionnelle) entre pairs.

Par conséquent, le fait d’identifier de manière forcée l’identité queer d’une personne comme raison de la rupture de ces liens représente une forme dangereuse de manipulation basée sur le secret, la honte et le besoin présumé de pénitence. Dans un tel contexte, d’innombrables individu.e.s LGBTQIA+ dans le monde se retrouvent quotidiennement exposé.e.s à ces croyances toxiques qui les paralysent dans un mécanisme de rejet de leur identité, dans la peur d’une forme de damnation divine, mais, le plus souvent, dans la peur de l’abandon. Bien que la thérapie de conversion, entendue principalement comme toutes tentatives de changer la sexualité, l’identité de genre ou l’expression de genre d’une personne, constitue l’instrument le plus connu à travers lequel les traumatismes religieux se développent, leur influence est beaucoup plus vaste que ce que l’on pourrait imaginer.

En grandissant, dans un contexte catholique, et plus particulièrement dans un environnement éducatif où les valeurs religieuses primaient souvent , la nécessité de repentance et une rhétorique basée sur la honte concernant les questions queers sont devenues les instruments à travers lesquels la religion a incarné ses aspects les plus discriminatoires. Le jugement omniscient de Dieu et de ses disciples a commencé à me suivre et à influencer chaque aspect de mon être, afin de modeler mon identité en quelque chose de jugé acceptable. Se réfugier dans les cabines de toilettes et se laisser engloutir par des vêtements surdimensionnés devenaient des moyens de survie dans un environnement qui m’obligeait à m’excuser pour la peau que je portais, et l’ombre rampante de la honte me lançait des étiquettes avant même que je ne sache qui j’étais. 

En tant que personne queer, la menace du jugement, la seule certitude que « mes péchés seront découverts », était pour moi un enchaînement à des conceptions dépassées du genre, de la sexualité et des relations, tout en créant une barrière apparemment insurmontable entre mes aspirations et la communauté qui m’avait autrefois accueillie. Aujourd’hui, comme pour beaucoup d’autres personnes LGBTQIA+, ma religiosité s’est transformée en spiritualité, la communauté qui m’a ostracisé me semble étrangère et distante, et le manteau de honte derrière lequel je me suis caché pendant ma jeunesse s’estompe progressivement, mais y a-t-il une place pour la réconciliation entre qui je suis et d’où je viens ? 

Avec la reconnaissance progressive des questions queers par l’Église et l’élargissement apparent du point de vue des autorités religieuses sur les identités LGBTQIA+, la question de savoir s’il est possible ou non de rectifier les erreurs du passé paraît extrêmement pressante. Néanmoins, ce qui semble manquer dans le débat actuel, c’est la recherche de la responsabilisation. Comment la communauté queer est-elle supposée adhérer ouvertement au principe du pardon que les structures religieuses qu’elle a fuies n’ont jamais paru incarner ? Comment sommes-nous censés tendre l’autre joue à ces mêmes communautés qui ont claqué leurs portes dans notre dos ?

 

Je vous laisse mes phalanges, 

toujours agrippées à la porte, 

Je vous laisse pleurer 

les bénédictions que vous avez dévorées.

Béni soit le sacrifice par le feu. 

Béni soit le cœur que vous avez déchiré.

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