Vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, La Vague est un roman de Todd Strasser publié en 1981 sous le pseudonyme de Morton Rhue et inspiré de faits réels. Alors qu’ils étudient la Seconde Guerre mondiale, les élèves du lycée Gordon ne comprennent pas comment le peuple allemand a pu tolérer les atrocités commises par les Nazi.e.s. Iels sont convaincu.e.s qu’un régime autocratique ne pourrait plus voir le jour. N’étant pas en mesure d’apporter des réponses claires à leurs questionnements, Ben Ross, professeur d’histoire, décide de mener une expérience afin de leur faire comprendre les rouages du nazisme. Il crée alors la « Vague », un mouvement autoritaire axé sur la discipline et la communauté. Ayant un succès fulgurant, le mouvement devient rapidement hors de contrôle. Un tel synopsis est attirant dans la mesure où, comme les élèves, nous sommes nombreux.ses à nous interroger à propos de la facilité avec laquelle la dictature nazie s’est mise en place. En effet, les actes des Nazi.e.s ont été si violents et inhumains qu’ils peuvent parfois sembler surréalistes. Et pourtant…

Une fiction inspirée de faits réels

Le roman La Vague est inspiré de l’expérience la « Troisième Vague » menée par le professeur Ron Jones dans le lycée de la ville de Palo Alto en Californie en 1967. Ce nom a été choisi par le professeur en référence au troisième Reich. Face aux interrogations de ses élèves, il a eu l’idée de mettre en place un mouvement autocratique qu’il a qualifié par la suite comme « l’un des événements les plus effrayants [qu’il ait] jamais vécus en salle de classe ». Dépassé par la situation, le professeur décide de mettre fin à l’expérience quatre jours après sa création. L’expérience est racontée dans The Catamount, le journal du lycée, puis retranscrite par le professeur lui-même dans un article intitulé « The Third Wave » (« La Troisième Vague ») dans le Whole Earth Magazine. Il est difficile de tirer des conclusions de cette expérience puisqu’elle repose principalement sur des témoignages et il ne s’agit pas d’une expérience scientifique. Toutefois, les questionnements qu’elle soulève sont importants : une autocratie peut-elle revoir le jour malgré les enseignements tirés de l’Histoire ? Qu’aurions-nous fait à la place de ces élèves ? Comment lutter contre les dérives autoritaires ?

Un mode d’emploi de la dictature

Si le roman La Vague a fait office de manuel dans les établissements scolaires allemands dans les années 1990, c’est parce qu’il constitue un véritable mode d’emploi de la dictature nazie. À travers l’expérience menée par le personnage de Ben Ross, l’auteur expose les différents mécanismes utilisés par les Nazi.e.s pour mettre en place leur régime. Propagande, répression de l’opposition, intérêt prédominant du groupe sur l’individu.e, suppression du libre-arbitre : toutes les caractéristiques de la dictature semblent être réunies dans la Vague. La désignation des moniteur.rice.s, qui ont pour rôle de dénoncer le non-respect du règlement de la Vague, est complètement arbitraire. Les ordres de Ben Ross sont incontestables et les attaques à l’encontre des non-membres sont fréquentes. Arbitraire, dictatorial et violent, la Vague est un mouvement fasciste qui grandit avec une rapidité déconcertante, surtout lorsque l’on a conscience que le livre se base sur une histoire vraie. Le mouvement est d’autant plus efficace que, à l’instar des jeunesses hitlériennes, il vise des jeunes qui sont généralement plus impressionnables et plus susceptibles de devenir fanatiques. Pour se développer, le mouvement s’appuie sur trois leviers principaux : la discipline, la communauté et l’action.

La force par la discipline

La première étape de l’endoctrinement des élèves consiste en la mise en place par Ben Ross d’une discipline stricte dans la classe. Progressivement, un règlement de la Vague est instauré. Un logo, un salut et un slogan sont créés. Lorsqu’ils souhaitent prendre la parole, les élèves doivent se lever et commencer chacune de leurs phrases par « Monsieur Ross ». Iels doivent répondre le plus rapidement aux questions du professeur, presque de manière automatique. Au premier abord, ces rituels amusent les lycéen.ne.s, qui sont davantage curieux.ses que conquis. Déguisées en jeu, ces pratiques permettent au professeur de mieux manipuler les adolescent.e.s. En effet, la majorité d’entre elleux ne s’interroge même pas à propos de la légitimité de la Vague. Lorsque Ben Ross vante les mérites de la discipline à ses élèves, iels ne peuvent qu’acquiescer face à l’amélioration de leurs résultats et leur efficacité remarquable en cours. Sans s’en apercevoir, iels se transforment en robots malléables à souhait. Typique des mouvements autoritaires, cette déshumanisation masquée enlève toute forme d’individualité aux membres, pour qui la Vague devient une véritable raison d’être.

La force par la communauté

Une fois la discipline installée en classe, Ben Ross cherche à manipuler les élèves pour que iels aient envie de suivre ses ordres. Pour ce faire, il tient devant elleux un discours idéologique fondé sur le rejet de la démocratie et de l’individualisme ainsi que la glorification de la communauté. Pour justifier la restriction des libertés individuelles au sein de la Vague, il les oppose au bien commun. Concrètement, cet esprit de communauté se manifeste par la création de cartes de membre. La distribution de ces cartes favorise le sentiment d’appartenance des élèves, mais il aboutit à l’exclusion de celleux qui n’en ont pas. Les membres sont alors uni.e.s par des valeurs et des objectifs communs, mais aussi par un ennemi commun (les non-membres). La peur de l’isolement étant plus importante chez les jeunes, il est plus facile pour elleux de suivre l’effet de groupe. Or, c’est précisément ce phénomène qui peut mener à commettre ou tolérer des atrocités. 

En principe, les libertés individuelles désignent un ensemble de droits reconnus aux individu.e.s du simple fait de leur existence, indépendamment de leur genre, de leur origine sociale ou ethnique, et de leurs croyances religieuses et/ou politiques. Dans le récit, les membres de la Vague sont mis sur un même pied d’égalité à condition d’obéir aux règles de la communauté et de ne pas critiquer le mouvement. Celleux qui n’y adhèrent pas sont constamment traqué.e.s, intimidé.e.s, rejeté.e.s et exclu.e.s. Iels subissent des violences verbales et physiques. En somme, l’égalité dont se réjouissent les lycéen.ne.s est illusoire, car elle repose sur une supériorité des membres sur les non-membres.

La force par l’action

Comme dans le film du même nom, peu d’importance est accordée à l’esthétique dans l’œuvre de Todd Strasser. Le roman est court et se lit facilement, ce qui permet de se focaliser davantage sur l’action et de rendre l’intrigue encore plus réaliste. Une fois l’expérience lancée par son leader Ben Ross, ce sont les élèves qui prennent le mouvement en main. Iels recrutent activement des nouveaux membres, si bien que près de 200 élèves rejoignent le mouvement en quelques jours, pas toujours de leur plein gré. De nombreux meetings sont organisés, et tout le monde se met à dénoncer les infractions au règlement de la Vague, alors que le professeur avait pris soin de désigner pour cette tâche uniquement quelques personnes de la classe. Les menaces et les intimidations à l’encontre des non-membres font également partie des activités principales des membres. Ce qui est particulièrement effrayant dans le récit, c’est de voir comment trois notions a priori positives selon la société (la discipline, la communauté et l’action) peuvent mener à une telle folie collective. Les bonnes intentions de Ben Ross n’empêchent pas le mouvement de dégénérer. Au contraire, le professeur se fait prendre à son propre jeu et cède à la tentation de l’abus de pouvoir alors qu’il est mature, conscient et bien entouré. 

L’histoire, un éternel recommencement ?

Les élèves de Ben Ross ne comprennent pas la dictature avant de l’avoir vécue pleinement. Au début, la Vague n’est pour elleux qu’un simple jeu sans danger, une mode passagère. Iels ne prennent pas leur professeur au sérieux. Au fur et à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, la plupart des lycéen.ne.s n’en voient que les bons côtés, tels que le sentiment d’appartenance et d’égalité qu’il procure ou encore la discipline qu’iels développent en classe. Iels ne s’aperçoivent pas qu’iels sont privé.e.s de leur esprit critique et de leur libre-arbitre au sein de la Vague. Les conséquences de l’expérience sont désastreuses : un jeune lycéen juif est insulté et tabassé, les non-membres sont violemment menacé.e.s et le lycée est plongé dans le chaos. Pourtant, cette montée de violence dans l’établissement n’arrête pas les membres de La Vague. C’est seulement lorsque Ben Ross présente Adolf Hitler comme le leader national de la Vague lors d’un meeting que les lycéen.ne.s réalisent avec effroi qu’iels se sont transformés en petits fascistes. Cela signifie-t-il que l’Histoire est condamnée à se répéter ? 

Le philosophe et politicien grec Thucyclide qualifiait l’Histoire d’« éternel recommencement ». En matière de droits humains, cette théorie semble s’appliquer à l’exemple des génocides : le génocide arménien a précédé le génocide des Juif.ve.s, qui a précédé le génocide du Rwanda en 1994. Plus récemment encore, le génocide des Ouïgour.e.s a surgi en Chine, témoignant d’une certaine incapacité à apprendre de nos erreurs passées. À cet égard, le message porté par Todd Strasser dans La Vague est un message de prévention. 

Les dérives autoritaires, un danger actuel

Le fascisme renvoie initialement à un système politique autoritaire établi en Italie dans les années 1920. Ce régime a été fondé sur la dictature d’un parti unique, la restriction des libertés individuelles et un nationalisme fort. Aujourd’hui, il désigne plus généralement une attitude autoritaire, dictatoriale et arbitraire imposée par quelqu’un à un groupe. Si l’expérience de « la Troisième Vague » s’est déroulée dans les années 1960, les dérives autoritaires représentent un danger actuel, car les mouvements néo-fascistes peuvent se développer davantage à l’ère des réseaux sociaux.

Percutant et moralisateur, ce roman remet en question l’importance du devoir de mémoire. Pour que les horreurs du passé ne tombent pas dans l’oubli et ne soient plus tolérées à nouveau, il est important d’entretenir notre mémoire collective. Bien que commune, cette responsabilité incombe particulièrement aux leaders politiques et aux enseignant.e.s. À ce titre, La Vague est une lecture incontournable, notamment pour les adolescent.e.s. 

Ayant moi-même découvert ce livre au collège, je me souviens avoir été profondément marquée par son dénouement à ma première lecture. Todd Strasser présente la sollicitation constante de notre esprit critique comme un moyen de lutte contre le fanatisme, la barbarie et la déshumanisation. Il nous invite à prendre conscience du fait que l’idéologie fasciste, qui, par son caractère liberticide, rejette les droits fondamentaux, est une menace toujours présente dont il ne faut pas cesser de se méfier. Loin d’être acquise, la lutte pour les droits humains est une lutte continue.

Pour aller plus loin…

  • Lesson-plan: the story of the Third Wave est un documentaire sorti en 2010 contenant des interviews de Ron Jones, le professeur à l’origine de l’expérience La Troisième Vague de 1967, et de certain.e.s de ses élèves.
  • Adapté du roman et de la Troisième Vague, le film allemand La Vague (Die Welle) est sorti en 2008. Il a été récompensé par plusieurs prix.
  • Stefani Kampmann est l’autrice d’un roman graphique nommé La Vague. Publié en 2009, Il s’inspire de l’œuvre de Todd Strasser et de son adaptation en film.
  • Nous, la Vague, une série allemande inspirée du roman, est disponible sur Netflix depuis 2019.

Morton Rhue, The Wave, Dell Edition, 1981.

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