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L’applicabilité extraterritoriale des droits humains s’est transformée en un patchwork déroutant de doctrines parfois contradictoires, apparemment réunies en une seule. C’est là que réside une profonde ironie, car compte tenu du nombre de traités qui ont été rédigés et ratifiés, il y a toujours un manque d’uniformité, non seulement dans leur interprétation textuelle, mais aussi dans l’approche adoptée par les différents pays. Des perspectives différentes sur le sens véhiculé par ces traités peuvent rendre difficile l’obtention d’un consensus sur la portée et l’application exactes de l’extraterritorialité des obligations en matière de droits humains. Les considérations mêmes qui ont donné lieu à leur présomption et qui sont censées les motiver sont aujourd’hui entachées de faiblesses systématiques, d’un manque de coordination entre les instruments relatifs aux droits humains et d’une législation nationale inadéquate en la matière : cette dernière est le résultat de pays qui n’interdisent pas tous les types d’exploitation humaine dans leur législation nationale, ce qui peut potentiellement conduire à ce que les formes extrêmes d’exploitation humaine ne soient poursuivies qu’indirectement, par le biais d’autres infractions. La reconnaissance de la portée extraterritoriale d’autres instruments relatifs aux droits humains permettrait d’atteindre leurs principaux objectifs. Bien que l’esclavage ait existé tout au long de l’histoire, le terme générique d’« esclavage moderne » est une définition plutôt récente, qui reflète la nature changeante de l’exploitation, principalement en raison de la mondialisation. Diverses formes d’exploitation, telles que la traite des êtres humains, le travail forcé, l’exploitation sexuelle, la servitude domestique et la traite des esclaves, sont aujourd’hui des formes courantes d’esclavage. En d’autres termes, l’esclavage moderne est une question complexe qui nécessite une réponse globale et coordonnée pour la combattre efficacement. Cette contribution fait plusieurs observations : les disparités importantes dans la jurisprudence concernant l’application territoriale des droits humains, et le lien entre les lacunes extraterritoriales et une législation nationale inadéquate — créent invariablement des failles qui entravent la poursuite des crimes internationaux.

Introduction

Le trafic de personnes, l’esclavage, les pratiques esclavagistes, le travail forcé, le travail des enfants, le mariage forcé, et la servitude (pour dettes), constituent un terme générique non juridique de « l’esclavage moderne », et fait l’objet d’une attention sans précédent ces dernières années. Malgré l’abolition de l’esclavage et du servage au milieu du 19e siècle, des millions de personnes sont aujourd’hui victimes de l’esclavage moderne. En 2021, on estime à 50 millions le nombre de personnes soumises à des situations d’esclavage moderne dans le monde, dont 12 millions d’enfants. 28 millions de personnes étaient soumises au travail forcé et 22 millions au mariage forcé, dont 14,9 millions de femmes et de jeunes filles. Entre 2018 et 2021, le nombre de personnes vivant dans une situation d’esclavage moderne a augmenté de 10 millions, ce qui témoigne d’un défi et d’une préoccupation croissants en matière de droits humains. À l’heure actuelle, l’exploitation humaine pourrait n’être que la partie émergée de l’iceberg, avec une ambiguïté juridictionnelle dans les instruments internationaux des droits humains, des dispositions législatives inadéquates et des obligations conflictuelles auxquelles les États membres de l’Union européenne (EU) sont parties, présentant ainsi un tableau encore plus compliqué et sombre. Selon une analyse réalisée par Amnesty International en 2007, environ 125 pays ont mis en œuvre une législation nationale permettant à leurs tribunaux d’exercer une compétence extraterritoriale sur des actes constituant un crime au regard du droit international. Bien que 96% des États membres des Nations unies aient mis en œuvre une législation nationale contre la traite des êtres humains, ils n’interdisent pas suffisamment d’autres types d’exploitation humaine, comme la servitude, pour laquelle 180 pays ne disposaient d’aucune provision de loi en 2019, ou ne reconnaissent pas correctement les éléments stricts énoncés dans le droit international. Une approche sélective du droit international n’est pas rare, mais elle limite la portée de la compétence extraterritoriale. 

Compte tenu de la portée et de l’application extraterritoriale des instruments relatifs aux droits humains, il convient de souligner que l’affirmation de la compétence d’exécution est généralement limitée au territoire national. Le droit international reconnaît des circonstances particulières dans lesquelles un État peut légiférer sur des événements qui se produisent en dehors de son territoire : sur cette base, la compétence extraterritoriale exige un lien entre l’acte commis et l’État qui affirme sa compétence. Cependant, la responsabilité de l’État et l’applicabilité extraterritoriale des instruments internationaux relatifs aux droits humains peuvent être en partie une question d’interprétations difficiles découlant d’incohérences dans les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) de 1950 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966. Il n’est donc pas surprenant qu’avec le nombre de traités qui aient été élaborés et conclus en matière de droits humains, il y ait un manque d’uniformité, non seulement dans l’interprétation textuelle de ces traités, mais aussi dans l’approche adoptée par les différents pays. Bien entendu, les normes relatives aux droits humains doivent, dans une certaine mesure, être interprétées et appliquées avec une certaine latitude. Aucun droit ne peut jamais être interprété universellement dans le même sens, mais des opinions différentes sur le sens qu’ils véhiculent peuvent rendre difficile l’obtention d’un consensus sur la portée et l’application exactes de l’extraterritorialité dans les obligations en matière de droits humains. Cela peut avoir un impact potentiel sur l’efficacité de ces instruments, tant au niveau national qu’international. À l’époque de chacune de leurs ratifications, et peu après, le monde était remarquablement différent : la présomption de portée extraterritoriale des droits humains n’a gagné en importance que dans les années 1990, en partie en raison de la fin de la Guerre froide et de son impact sur la propension gouvernementale des droits humains internationaux. En principe, comme indiqué précédemment, un État est présumé avoir une compétence exclusive sur son territoire : « La souveraineté est essentiellement une notion relative », affirmait Josef L. Kunz, un théoricien juridique austro-américain du 20e siècle. Kunz estimait que toute notion politique illimitée de souveraineté conduirait inévitablement à l’inexistence du droit international. Pourtant, il est possible que ce soit l’inverse qui se produise. Au fur et à mesure que la notion de souveraineté évolue, il devient largement accepté que les États prennent des mesures en réponse aux violations des droits humains commises par d’autres États. Récemment, plusieurs affaires impliquant la substance de l’extraterritorialité par rapport aux traités sur les droits humains ont été au cœur des débats. La cybersurveillance transnationale de masse des États-Unis dans le contexte des ingérences extraterritoriales dans la vie privée en est un exemple. Un autre exemple est l’application de politiques de diligence raisonnable en matière de droits humains (appliquées à la coopération extraterritoriale) pour prévenir l’immigration irrégulière. L’UE, par exemple, a utilisé ces politiques pour soutenir la Libye dans les domaines du contrôle des frontières et de la détention des réfugié.e.s et autres migrant.e.s. La compétence extraterritoriale dans le contexte des affaires d’esclavage moderne reste toutefois une question controversée : la directive européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains, qui sera abordée plus loin dans cet article, ne permet aux États membres d’utiliser la compétence extraterritoriale dans les affaires de traite des êtres humains que lorsque le crime est commis sur leur territoire ou que l’auteur.rice de l’infraction est l’un.e de leurs propres ressortissant.e.s.

La question qui se pose est de savoir si le problème est dû à l’exploitation humaine elle-même ou au manque critique de cohérence et d’harmonie entre les instruments relatifs aux droits humains et à leur application extraterritoriale. La question porte sur les causes profondes : comprendre si ces problèmes sont dus à des faiblesses systématiques ou à un manque de coordination entre les instruments relatifs aux droits humains fournira des indications précieuses pour élaborer des solutions efficaces dans le contexte de l’esclavage moderne. Ce policy brief examine l’application extraterritoriale de la Convention européenne des droits de l’Homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en se concentrant sur deux observations juridictionnelles : l’une concernant les différences significatives entre les jurisprudences sur les questions d’application territoriale des droits humains, et l’autre concernant le lien entre les lacunes extraterritoriales dans les législations nationales inadéquates, créant invariablement des failles qui entravent les poursuites des crimes internationaux. Une évaluation de la Norvège et des mécanismes d’application extraterritoriale dans son code pénal est également proposée. Bien que la réponse gouvernementale puissante de la Norvège à l’esclavage moderne soit louable, il est important de reconnaître que même avec des mesures aussi fortes en place, une législation nationale inadéquate peut encore laisser des lacunes dans la protection pratique contre l’exploitation humaine grave. Ces lacunes soulignent la nécessité d’une évaluation et d’une amélioration continues de la législation pour éradiquer efficacement l’esclavage moderne.

Le cadre juridique

Pour des raisons de portée, le « Protocole de Palerme »1 et la Directive de l’UE sur la traite des êtres humains de 20112 ont été sélectionnés parmi les nombreux accords internationaux, normes et conventions sur l’esclavage moderne, et seront brièvement mentionnés dans cette section. La définition internationalement reconnue de la traite des êtres humains est fournie dans la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, également connue sous le nom de « Protocole de Palerme » de 2000, dans son article 3 : 

« la « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. »3 

En ce qui concerne la définition du consentement, le Protocole de Palerme fait une distinction entre les adultes et toute personne de moins de dix-huit ans : les victimes mineures ne peuvent pas consentir à être exploitées, quel que soit le moyen mis en œuvre.

La traite des êtres humains est ensuite divisée en trois éléments majeurs dans le « Protocole de Palerme » :

  1. L’acte : recruter, transporter, transférer, héberger ou recevoir la personne.
  2. Les moyens : utiliser la menace, la force, d’autres formes de contrainte, une position de vulnérabilité ou recevoir des paiements ou des avantages pour faciliter l’acte.
  3. Le but : l’exploitation sexuelle, le travail forcé, l’esclavage ou des pratiques similaires à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes.

Par conséquent, si une victime de la traite des êtres humains est secourue avant que l’exploitation, telle qu’indiqué dans le Protocole de Palerme, ait lieu, l’intention (mens rea) de l’exploitation n’est plus requise pour être satisfaite.

Dans le cadre juridique européen sur la traite des êtres humains, la « Joint Action » (action jointe) de 1997, un instrument axé sur la lutte contre la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des enfants, a été la première réponse légale à la traite des êtres humains. La Joint Action a été adoptée dans le cadre des objectifs du Troisième pilier du traité sur l’Union européenne (TUE)4 et a ensuite été refondue dans le Traité d’Amsterdam. L’instrument n’avait pas d’effets juridiquement contraignants sur les États membres et a finalement été remplacé par la Décision-cadre de 2002 sur la lutte contre la traite des êtres humains et les infractions contre les enfants. Cette dernière a introduit deux moyens supplémentaires : l’abus de pouvoir ou d’une position de vulnérabilité où il n’y a pas d’autre alternative acceptable que de se soumettre à l’abus impliqué, ainsi que la remise ou la réception de paiements ou d’avantages pour prendre le contrôle sur une autre personne5. Le Conseil de l’Europe, dans sa Décision-cadre de 2002, a maintenu la définition énoncée dans le Protocole de Palerme des Nations Unies, mais a élargi la définition de la traite des êtres humains et la portée de son application aux formes modernes de traite. Il a établi des éléments fondamentaux de la traite tels que le recrutement, le transport, le transfert ou l’hébergement et la réception ultérieure de personnes, y compris le rôle du consentement et l’échange ou le transfert du contrôle des victimes de la traite. Cet élément contrastait avec le protocole de Palerme des Nations unies, qui couvrait exclusivement le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou la réception de personnes. La Décision-cadre de 2002 est devenue obsolète avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009 et a été ultérieurement remplacée par la Directive de l’UE sur la lutte contre la traite des êtres humains (Directive 2011/36/UE). À cet égard, la question de la nécessité des Joint Actions, des Décisions-cadres ou des Directives se pose étant donné que la CEDH, qui lie tous les États membres de l’UE, inclut déjà leur contenu : les Joint Actions ont été créées pour compléter et améliorer la mise en œuvre de la CEDH dans les États membres, mais la CEDH est un instrument subsidiaire et n’est donc pas opposée à être mise en œuvre ou étendue par le biais de la législation nationale ou européenne6.

Au-delà du territoire souverain 

« Lord Ronald ne dit rien ; il se jeta hors de la pièce, se lança sur son cheval et s’enfuit follement dans toutes les directions », écrit Stephen Leacock dans son livre Nonsense Novels (1911)7. De même, existe-t-il un manque critique de conformité conceptuelle entre les nombreux traités sur les droits humains et leurs clauses de compétence territoriale ? Selon la vision westphalienne8, la compétence est principalement territoriale, ce qui signifie que les États sont responsables de la protection des droits des individu.e.s sur leur territoire. Cependant, cette vision est considérée comme insuffisante dans le monde mondialisé actuel, où les États s’engagent souvent dans des activités à l’étranger qui peuvent avoir des répercussions sur les droits des individu.e.s. Il est donc important d’examiner le concept de compétence et de déterminer quand et dans quelle mesure les États sont tenus de respecter et de protéger les droits des personnes sur lesquels ils ont le pouvoir d’agir. La confusion créée par les tribunaux anglais pour déterminer si la CEDH s’appliquait aux actions des forces britanniques en Irak (en 2011) rend cette question particulièrement pertinente : sommes-nous en train de dépasser la vision westphalienne ?9 L’un des aspects les plus complexes des litiges en matière de droits humains est souvent considéré comme l’extraterritorialité, car les États ont généralement du mal à reconnaître qu’ils ont la responsabilité de protéger les droits humains des individu.e.s qui ne se trouvent pas sur leur territoire. Cette question d’extraterritorialité est particulièrement pertinente dans les cas où des violations des droits humains se produisent dans un pays, mais que les personnes ou entités responsables de ces violations sont basées dans un autre pays. Dans de telles circonstances, il peut être difficile de tenir les auteur.rice.s, par exemple, de l’exploitation humaine, responsables. Cette section vise à clarifier les obligations des États parties à la CEDH et au PIDCP en ce qui concerne les droits humains en dehors de leur territoire en explorant le concept de « compétence » tel qu’il est utilisé dans les deux traités pour définir la portée des obligations des États et en offrant une analyse stimulante de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur la compétence extraterritoriale.

La portée de l’application de la CEDH est régie par l’article 1, tandis que l’article 2 du PIDCP définit la portée des obligations juridiques assumées par les États partis au Pacte. Il peut sembler paradoxal que ni le PIDCP ni la CEDH ne s’alignent ni linguistiquement, ni en termes d’application territoriale. Alors que l’article 2(1) du PIDCP déclare que « chaque État partie au présent Pacte s’engage à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le présent Pacte », l’article 1 de la CEDH indique que « les Hautes Parties contractantes s’engagent à assurer à tous les individus relevant de leur juridiction les droits et libertés définis à la section 1 de la présente Convention ». Les distinctions textuelles sont particulièrement remarquables, car le PIDCP spécifie la juridiction de l’État comme étant « sur son territoire », tandis que la CEDH énonce  « relevant de leur juridiction ». Il a été établi dès le début que la CEDH devait être interprétée de manière objective, laissant peu de place aux interprétations changeantes de sa juridiction : il convient d’éviter une prétendue « adaptation et division » des droits humains. Une référence au concept « relevant de leur juridiction », plutôt que « sur son territoire », pourrait impliquer que les États peuvent être tenus de garantir les droits et libertés pour celleux se trouvant à l’extérieur de leur territoire. À cet égard, il est contradictoire que la jurisprudence sur l’application extraterritoriale de la Convention révèle que la juridiction, en vertu de l’article 1 de la CEDH, a connu des évolutions au fil du temps : 

  1. Loizidou c. Turquie (23 mars 1995) : bien que l’article 1 de la CEDH limite la portée de la Convention, la Cour a souligné que la notion de « juridiction » en vertu de ladite disposition n’était pas rigoureusement limitée au territoire national des États contractants.
  2. Bankovic et autres c. Belgique et 16 autres États contractants (19 décembre 2001) : bien que le droit international n’exclue pas un État d’exercer l’extraterritorialité, la Cour, en règle générale, considérait que la juridiction était restreinte et limitée par les droits territoriaux souverains d’autres États pertinents.
  3. Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni (11 juillet 2011) : la Cour a attiré l’attention sur une jurisprudence antérieure dans laquelle elle avait décidé qu’un État était généralement seulement tenu d’appliquer la Convention sur son propre territoire, annulant ainsi une partie de sa décision Bankovic. Seul dans des circonstances exceptionnelles, un acte extraterritorial pourrait relever de la juridiction de l’État en vertu de la Convention.

Dans Bankovic et Autres c. Belgique et 16 Autres États, une affaire portée devant la Cour par les proches de civil.e.s tué.e.s lors d’une frappe de missile de l’OTAN sur le bâtiment de la Radio Télévision de Serbie (RTS) à Belgrade (ancienne République fédérale de Yougoslavie) le 23 avril 1999, la Grande Chambre de la Cour a déclaré à l’unanimité l’affaire irrecevable. Bien que le droit international n’exclue pas les États d’exercer l’extraterritorialité, la Grande Chambre a estimé que la juridiction était, en règle générale, définie et limitée par les droits territoriaux souverains des autres États pertinents. Dans l’affaire Al-Skeini and Others v. the United Kingdom, une affaire portée devant la Cour par les proches de six civil.e.s irakien.ne.s tué.e.s ou grièvement blessé.e.s par des soldat.e.s britanniques à Bassora, en Irak, en 2003, lors d’opérations de sécurité britanniques, la Cour a déterminé que les personnes décédées étaient soumises à la juridiction du Royaume-Uni en vertu de l’article 1 de la CEDH. L’affaire a clarifié le principe de ratione loci10 dans la CEDH, et bien que la Cour n’ait pas complètement abandonné le concept territorial de juridiction, qu’elle avait adopté dans sa décision Bankovic de 2001, elle a réexaminé sa ligne jurisprudentielle contradictoire sur la juridiction extraterritoriale et s’est rapprochée du principe de ratione personae11. Dans Al-Skeini, la Cour a soudainement accepté que la CEDH pouvait être divisée et adaptée, abandonnant ainsi sa propre interdiction de « tailoring and dividing human rights » (« adapter et diviser les droits humains »). Il est également essentiel, cependant, de tenir compte des dates auxquelles la Cour a rendu le jugement dans l’affaire Bankovic, qui a ensuite stoppé la progression de l’application extraterritoriale des droits humains. En effet, la décision a été rendue trois mois après le 11 septembre, les Européen.ne.s n’étant non seulement pas disposé.e.s à échanger leur droit à la vie privée contre une plus grande sécurité, mais la Cour tentait également à éviter de traiter une éruption de cas déroutants en raison des circonstances difficiles en Irak. Al-Skeini a élargi la portée de l’application extraterritoriale de la CEDH, mais malgré les clarifications fournies, certaines ambiguïtés et incohérences entourant le principe territorial et la portée territoriale de la CEDH subsistent aujourd’hui. La Cour concède dans l’ensemble que la juridiction est principalement territoriale par nature, et l’exercice de la juridiction extraterritoriale n’est qu’un événement exceptionnel. Il est cependant clair que la nature changeante du concept d’extraterritorialité, ainsi que la confusion entre la juridiction en droit international (avec la juridiction en vertu de l’article 1), sont un talon d’Achille pour la Cour, conduisant à un concept restreint de juridiction extraterritoriale, bien que l’extraterritorialité soit un concept abstrait.

Les obligations en matière de droits humains sont une nécessité, mais peuvent également être une source de complexité, conduisant à des ambiguïtés ou à des doubles standards. Dans ce contexte, certaines obligations en matière de droits humains s’appliquent sur le territoire de l’État, tandis que d’autres s’étendent à l’étranger, tout en conservant les mêmes droits humains. Un manque de cohérence parmi les nombreux traités sur les droits humains, et le débat intense sur leur portée territoriale exacte, dresse indéniablement un tableau sombre. Il existe un fort potentiel de conflits entre les obligations en matière de droits humains en jeu et l’interprétation nationale et internationale de ces obligations. Avec des différences minimales d’interprétation entre les organes internationaux et régionaux, ou les tribunaux nationaux, les États peuvent avoir du mal à trouver un équilibre entre leurs responsabilités de protéger les droits humains. Si l’interprétation de certains traités sur les droits humains diverge de la compréhension internationale commune, des problèmes significatifs pourraient survenir dans la préservation et la protection à long terme des droits humains.

« Le monstre de Frankenstein », a déclaré le chercheur Anthony J. Colangelo de manière critique à propos des présomptions contre l’extraterritorialité, « la présomption contre l’extraterritorialité établie par les juges est récemment devenue un patchwork hétéroclite de doctrines excentriques et parfois contradictoires, apparemment assemblées pour une seule et unique mission : priver les demandeurs du droit12 de poursuivre en justice […] pour des préjudices subis à l’étranger ». Le concept de                          « juridiction », tel qu’utilisé dans le PIDCP et la CEDH, a été largement exploré dans le discours académique en raison de son ambiguïté13. Au lieu de cela, des interprétations alternatives de « juridiction » ont été proposées, prenant en compte à la fois les liens factuels et juridiques, tels que le contrôle souverain effectif sur le territoire, le contrôle sur un.e individu.e, ou les lois de cause à effet14. En interprétant la juridiction extraterritoriale en vertu de la CEDH, la Cour s’est appuyée sur une compréhension de la juridiction principalement territoriale et restreinte en droit international. La juridiction extraterritoriale est donc plutôt considérée comme exceptionnelle et nécessitant une justification particulière, plutôt que comme le résultat naturel des actions de l’État à l’étranger. Le grand paradoxe est de savoir si l’approche de la Cour dans les affaires impliquant la juridiction extraterritoriale des États parties a donné lieu à plusieurs interprétations judiciaires de la CEDH : des interprétations qui étaient initialement censées être évitées. De plus, la nature interprétative de l’article 2(1) du PIDCP peut entraîner des scénarios complexes d’obligations parallèles pour les États membres dans une question fondamentale : quand, le cas échéant, le PIDCP s’applique-t-il extra-territorialement (et au-delà du territoire d’un État) ? L’alignement (textuel) difficile des nombreux traités sur les droits humains sur la portée territoriale d’application, combiné à une législation nationale insuffisante sur la « traite des êtres humains » et une portée limitée de la législation pour inclure divers types d’exploitation humaine, crée une arme à double tranchant. Plusieurs instruments des droits humains ont été créés dans la quête de la protection universelle des droits humains, entraînant soit une approche interprétative large, une ligne jurisprudentielle conflictuelle, soit des engagements contradictoires en matière de droits humains, pouvant potentiellement conduire à la « fuite folle dans toutes les directions » de Leacock.

Les Obstacles de la Juridiction extraterritoriale en Norvège

En 2011, la Directive de l’UE sur la lutte contre la traite des êtres humains a remplacé la Décision-cadre 2002 du Conseil relative à la lutte contre la traite des êtres humains dans l’UE. Elle est devenue l’outil législatif fondamental traitant de la traite des êtres humains dans l’UE, car les lacunes de la Décision-cadre 2002 incluaient la restriction du champ d’application des circonstances aggravantes en définissant la traite des êtres humains uniquement en termes d’exploitation sexuelle et économique15. Lorsque l’on compare la Décision-cadre 2002 à la Directive 2011, il est essentiel de noter que la Décision-cadre précisait qu’une victime devait être considérée comme étant dans un « état particulièrement vulnérable » lorsque la victime n’avait pas atteint l’âge de consentement sexuel indiqué par la législation nationale sur le sujet, et lorsque l’infraction était commise aux fins d’exploitation de la prostitution d’autrui et d’autres formes d’exploitation sexuelle, y compris la pornographie16. La directive a élargi son champ d’application pour inclure toutes les formes d’exploitation. Une disposition obligeant les États membres à prendre les mesures appropriées par le biais de leurs lois nationales pour permettre aux autorités compétentes de saisir et de confisquer les instruments et produits de la traite des êtres humains et des infractions connexes est incluse dans la Directive, privant ainsi la traite des êtres humains d’être considérée comme une activité criminelle rentable et décourageant les groupes criminels organisés de s’y engager. La Directive favorise également la coopération entre les États membres et la collaboration transfrontalière entre les autorités chargées de l’application de la loi des États membres. La Directive 2011 a étendu les obligations des États membres en ce qui concerne le principe de nationalité (c’est-à-dire quand un État a compétence pour rendre sa loi pénale applicable aux actes commis par ses ressortissants en dehors de son territoire). Cela contraste avec la Décision-cadre 2002, qui comportait une échappatoire permettant d’éviter le principe de nationalité, par exemple, en veillant à ce qu’il ne soit applicable que dans certaines conditions, subordonnant ainsi son exercice.

La Directive inclut trois paramètres atteignables de juridiction extraterritoriale :

  • Lorsque l’auteur.rice de l’infraction est un.e résident.e habituel.le du territoire de l’État membre concerné ;
  • Lorsque l’infraction est commise contre l’un.e de ses ressortissant.e.s ou l’un.e de ses résident.e.s habituel.le.s ;
  • Lorsque l’infraction est commise « au bénéfice d’une personne morale établie sur son     territoire ».

Tandis que la Directive encourage les États membres à élargir leur juridiction extraterritoriale, entre 1986 et jusqu’à son adoption en 2011, seulement 26 personnes ont été condamnées sur la base de la juridiction extraterritoriale, en particulier la juridiction universelle (ou compétence universelle)17. Bien que le nombre précis de suspect.e.s soit inconnu en raison des enquêtes structurelles, l’année 2022 a enregistré 102 présumé.e.s auteur.rice.s, dont 66 étaient lié.e.s à des crimes contre l’humanité. Il y a eu 15 condamnations18.

La juridiction du droit national et du droit international n’est pas entièrement distincte, mais elle ne se chevauche pas totalement non plus. Le droit international établit un cadre pour la protection des droits humains, tandis que le droit national fait référence au système juridique créé par les États dans leurs propres juridictions (ou territoires). En tant que tels, les États ont la responsabilité de veiller à ce que leurs lois nationales soient en conformité avec leurs obligations internationales en matière de droits humains. Cependant, elles ne se chevauchent nécessairement que dans la mesure où la juridiction de l’État en vertu du droit national est l’objet de la juridiction en vertu du droit international.

Le Global Slavery Index a trouvé les réponses gouvernementales les plus puissantes à l’esclavage moderne en Norvège, entre autres. En ce qui concerne les efforts de la Norvège pour éradiquer la prévalence des incidents d’esclavage moderne, leur paradigme politique est exposé dans leurs dispositions anti-trafic et travail forcé, tant dans leur texte constitutionnel que dans le Code pénal de 2005. En pratique, la construction sociale du moment où la juridiction extraterritoriale s’applique aux actes commis à l’étranger est assez complexe : les dispositions relatives à l’esclavage et au travail forcé se trouvent dans la Constitution norvégienne à l’article 93, qui déclare : « Nul.le ne peut être soumis.e à la torture ou à d’autres traitements ou peines inhumains ou dégradants : nul.le ne doit être retenu.e en esclavage ou contraint.e d’accomplir un travail forcé ; les autorités de l’État doivent protéger le droit à la vie et s’opposer à la torture, à l’esclavage, au travail forcé et à d’autres formes de traitement inhumain ou dégradant ». L’article 5(1) du nouveau Code pénal civil général norvégien de 2005, « Application de la législation pénale aux actes commis à l’étranger »19, prévoit une juridiction de personnalité passive, une compétence universelle limitée, et précise quand la législation pénale norvégienne s’applique aux actes commis à l’étranger par un.e ressortissant.e norvégien.ne, une personne résidant en Norvège, ou des actes commis au nom d’une entreprise enregistrée en Norvège. L’article 5(2) précise davantage l’applicabilité de la législation pénale aux actes commis à l’étranger par un.e présumé.e coupable qui est, ou qui est devenu depuis l’acte, ressortissant.e d’un autre pays nordique ou résidant.e dans un autre pays nordique et séjournant en Norvège. Cette section traite de la portée extraterritoriale du Code pénal, exigeant que, pour que le Code pénal s’applique aux actes commis à l’étranger, l’acte doit être considéré comme dirigé contre l’État norvégien ou une autorité de l’État norvégien, des actes passibles de sanctions selon la loi du pays où les crimes ont été commis, des actes considérés comme des crimes de guerre, de génocide, des crimes contre l’humanité, d’une violation du droit international humanitaire, ou de mariages forcés, entre autres. Les personnes qui ont séjourné en Norvège pendant une période spécifique ou qui ont obtenu un permis de résidence formel conformément aux lois d’immigration applicables et qui ont leur domicile au moment de l’ouverture d’une enquête sont considérées comme des résident.e.s en Norvège, tandis que les personnes qui n’ont aucun lien avec la Norvège et qui ne font que visiter pour des vacances ou des affaires, ou qui demandent l’asile, et qui sont présentes en Norvège lorsque les enquêtes sont ouvertes sont considérées comme ayant une présence en Norvège. Dans les deux cas, la Norvège conserve sa juridiction même si les présumé.e.s coupables quittent le pays après le début d’une enquête. Il est particulièrement remarquable que cette section souligne que les poursuites doivent être engagées dans l’« intérêt public », reflétant les spécificités d’un.e présumé.e coupable qui n’est pas ressortissant.e norvégien.ne ou ne réside pas en Norvège lorsque des poursuites sont engagées. L’article 6 du Code pénal établit une compétence universelle absolue sur des actes pour lesquels la Norvège a le droit ou l’obligation de poursuivre en vertu du droit international ou d’accords avec des États étrangers. Actuellement, il n’existe aucune législation en Norvège qui interdise la servitude. Comme mentionné précédemment, il n’est pas rare que les États adoptent une approche sélective ou pointilleuse lorsqu’il s’agit d’appliquer le droit international à la question de la traite des êtres humains.

À la lumière des dispositions susmentionnées du Code pénal norvégien, de la portée de la compétence universelle et du principe de la double incrimination (tel que prévu par le Code pénal), il est établi qu’une poursuite pour un acte commis à l’étranger ne peut avoir lieu que si ledit acte constitue également un crime dans le pays où il s’est produit. De plus, cela nécessite que le.a présumé.e coupable soit un.e ressortissant.e norvégien.ne, soit un.e résident.e habituel.le en Norvège. Il est essentiel de préciser qu’en 2020, 94 nations (49%) n’avaient aucune législation criminelle interdisant l’esclavage, 112 pays (58%) semblaient ne pas avoir mis en place des dispositions pénales sanctionnant le travail forcé, tandis que 170 (88%) n’avaient pas criminalisé les quatre pratiques similaires à l’esclavage, et 180 États (93%) n’avaient pas adopté de dispositions législatives criminalisant la servitude20. L’un des obstacles les plus difficiles est la manière dont différents pays définissent et catégorisent les crimes pouvant faire l’objet d’une extradition. Bien que l’interdiction de l’esclavage, des pratiques similaires à l’esclavage, du travail forcé et de la servitude soit consacrée dans le droit international, le droit national ne parvient souvent pas à s’aligner : il existe des options limitées pour poursuivre l’exploitation présumée du travail forcé ou de la servitude si les deux pays demandeurs et demandés ne disposent pas d’une législation nationale appropriée au-delà de celle de la traite des êtres humains.

Il est crucial de noter que l’absence de ces dispositions pénales peut entraîner des obstacles dans l’exercice de la compétence universelle, tels que les présumé.e.s coupables n’étant poursuivis que de manière implicite pour d’autres infractions, comme la traite des êtres humains. Étant donné que la législation nationale est insuffisante pour certains types d’exploitation humaine, plusieurs formes d’exploitation ne peuvent être poursuivies que sous des lois connexes, augmentant ainsi la probabilité que les présumé.e.s coupables échappent à des poursuites pénales. Le Danemark n’a pas non plus défini correctement dans sa législation nationale l’exclusion des enfants selon le Protocole de Palerme, en exigeant de remplir tous les trois éléments de la traite des êtres humains. Comme mentionné précédemment, la traite d’enfants ne nécessite pas de formes de coercition, car les enfants ne peuvent pas donner leur consentement à être exploité.e.s : cette question n’est pas définie conformément au Protocole de Palerme.

Le défi majeur pour les pays européens est de prendre en compte ces variables et de les incorporer dans les politiques nationales et la législation afin d’élargir leurs lois nationales apparemment étroitement définies en matière de traite des êtres humains, telles que définies par le droit international.

Recommandations sur les efforts pour éradiquer la prévalence de l’esclavage moderne

Basé sur les informations précédentes, il peut être déduit que la CEDH fournit une définition pragmatique de « juridiction » dans son article 1, bien que reflétant la possibilité d’une deuxième venue de la juridiction extraterritoriale et des obligations de la Convention. Cependant, étendre l’extraterritorialité nécessiterait finalement non seulement une pression politique, mais aussi une acceptation volontaire des États : la juridiction et l’applicabilité des traités relatifs aux droits humains devraient être cohérentes avec la nature politique évolutive des droits humains eux-mêmes. La législation nationale actuelle de nombreux pays est insuffisante pour élargir la portée de leur législation ou les définitions de « l’esclavage moderne » afin d’inclure d’autres formes d’exploitation humaine au-delà de la traite des êtres humains. Les conséquences préjudiciables que cela entraîne pour la protection de celleux qui sont actuellement soumis.es à l’esclavage moderne, pour la poursuite des présumé.e.s coupables par extraterritorialité et pour la quête d’éradication des diverses formes d’esclavage moderne, notamment d’ici 2030, ne peuvent être suffisamment soulignées.

Cela peut être particulièrement pertinent pour la deuxième recommandation énoncée ci-dessous, tout en illustrant l’essence du problème : « au sein des catégories, les sanctions semblent extrêmement sensées, du moins dans le sens où les préjudices les plus graves sont punis plus sévèrement. Il ne devrait cependant pas vous surprendre que la taille des sanctions varie considérablement d’une agence à l’autre, de manière à refléter davantage la politique et l’histoire que toute préoccupation mondiale pour l’équité. Les amendes [pour des violations graves] ont du sens dans le contexte des autres sanctions fixées par chaque agence, mais elles semblent étranges lorsqu’elles sont comparées entre elles : on ne peut voir l’absurdité que lorsque les deux cas sont examinés ensemble dans un cadre large. Le système de sanctions administratives est cohérent au sein des agences mais incohérent à l’échelle mondiale. »2122 Par conséquent, la création d’une base de données complète permettrait aux États membres de comparer leur législation, offrant des informations sur l’efficacité des cadres juridiques pour lutter contre diverses formes d’exploitation humaine. Cela peut à son tour conduire à l’élaboration de politiques fondées sur des preuves et à des efforts de réforme.

Les recommandations ci-dessous reflètent une législation nationale inadéquate couvrant un large éventail d’exploitations humaines.

  • Recommandation 1 : Le droit des droits humains doit s’adapter aux interprétations en constante évolution des droits humains. 

Les changements dans les interprétations peuvent être dus à divers facteurs, tels que des évolutions dans les contextes sociaux, des avancées technologiques, une sensibilisation accrue, des améliorations dans l’éducation en droit international, une compréhension croissante de qui est vulnérable à l’exploitation humaine et l’émergence de nouvelles formes d’exploitation humaine. À mesure que les sociétés évoluent, il est crucial que le droit des droits humains reste dynamique et réactif. Cela nécessite une évaluation et un ajustement continus du droit des droits humains pour garantir sa pertinence, et appelle à une approche proactive pour identifier les problèmes émergents et les aborder à travers des cadres juridiques complets qui reflètent les besoins évolutifs de la société.

  • Recommandation 2 : Une base de données ou un cadre facilement accessible. 

Bien qu’il existe une base de données contre l’esclavage qui compare les lois nationales de tous les États membres des Nations unies avec leurs obligations en vertu des traités internationaux, il faut passer par plusieurs étapes inutiles pour arriver à un résultat final. Ces étapes supplémentaires pourraient rendre l’utilisation de la base de données plus difficile pour le grand public. Des avantages à long terme pourraient découler d’une collecte structurée et d’une présentation conjointe des données actuelles sur les lois nationales et les textes constitutionnels liés à la traite des êtres humains et à d’autres formes d’exploitation dans les États membres de l’Union européenne. Cela nécessiterait un effort collaboratif entre les organismes gouvernementaux et les acteur.rice.s de la société civile pour éliminer l’exploitation liée à l’esclavage moderne et à la traite des êtres humains. Une évaluation conjointe est plus complète qu’une évaluation individuelle, car les lois nationales peuvent être cohérentes lorsqu’elles sont considérées individuellement, mais incohérentes lorsqu’elles sont considérées globalement. Pour intensifier les efforts de réduction de l’esclavage moderne, le cadre pourrait inclure des recherches contemporaines basées sur des preuves.

  • Recommandation 3 : Mécanismes de gouvernance pour la création de comités (de recherche).

Une lacune dans l’application de la juridiction extraterritoriale est que la législation nationale des nations est souvent étroitement définie et n’inclut pas des formes supplémentaires d’exploitation humaine au-delà de la traite des êtres humains. Par exemple, la servitude est une forme largement négligée d’exploitation humaine dans de nombreux pays européens. Pour poursuivre les présumé.e.s coupables de servitude, il faudrait des dispositions nationales en plus de celles visant la traite des êtres humains. Un comité de recherche pourrait surveiller efficacement et contribuer à l’adaptation des paradigmes politiques nationaux pour respecter leurs engagements à interdire efficacement l’exploitation humaine, en se conformant à la directive 2011/UE/36 sur l’extension de l’extraterritorialité (et à la collaboration entre les États membres de l’Union européenne) et encourageant potentiellement des politiques étendues sur la question.

RÉFÉRENCES

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Remerciements

Nous remercions Vannina Bozzi-Robadey, Camille Cottais, Jeanne Delhay, Niccolò Fantin & Vincent Lefebvre pour leur relecture.

Traduit par Gabriel Capitolo.

Image : Kyle Glenn via Unsplash

Pour citer l’article :

ROUBART, E. (2024). Aborder la juridiction extraterritoriale et l’inadéquation de la législation   nationale : une voie pour éradiquer l’esclavage moderne. Generation for Rights Over the World. growthinktank.org. [online] Fév. 2024.

References
1 Le principal instrument international dans la lutte contre la criminalité transnationale.
2 Exigeant que les États membres de l’UE promulguent des lois nationales interdisant la traite et protégeant les victimes.
3 United Nations (2000). UN Convention Against Transnational Organized Crime. General Assembly resolution. [online]. Available at: https://www.unodc.org/unodc/en/organized-crime/intro/UNTOC.html
4 Le Troisième Pilier du TUE a élargi les compétences de l’UE dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures (JAI). Il a été doté de la capacité d’agir, entre autres, dans des domaines tels que la criminalité organisée, le trafic de drogue, les politiques d’asile, l’immigration illégale, la coopération judiciaire en matière civile et pénale, et la coopération policière par le biais de la création d’un Office européen de police (Europol). Tout comme le Deuxième Pilier, le Troisième Pilier du TUE était intergouvernemental. Le Traité d’Amsterdam, signé en 1997, a modifié de manière substantielle le Troisième Pilier du TUE : parmi les domaines susmentionnés relevant du Troisième Pilier, seuls ceux liés aux lois criminelles ont été refondus en un nouveau Troisième Pilier, tandis que ce qui a été retranché du Troisième Pilier original a été transféré au Premier Pilier. Une approche supranationale de ces questions est désormais considérée comme favorable.
5 Council Framework Decision. (2002). 2002/629/JHA, Art. 1a-d. [pdf]. Available at: https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2002:203:0001:0004:EN:PDF
6 Zupancic, M. B., Callewart, J. (2007). Relationship of the EU Framework Decision to the ECHR: Towards the fundamental principle of criminal procedure. Academy of European Law. ERA Forum 8, 265–271. [online]. Available at: https://doi.org/10.1007/s12027-007-0013-8
7 Traduction GROW de l’extrait original en anglais: “Lord Ronald said nothing; he flung himself from the room, flung himself upon his horse, and rode madly off in all directions”.
8 La paix de Westphalie de 1648 a établi un cadre pour les relations internationales modernes : les concepts de souveraineté des États, de médiation internationale et de diplomatie trouvent tous leur origine dans ce traité vieux de plus de 350 ans. Le système de Westphalie est à l’origine du système international moderne d’États souverains.
9, 14 King, H. (2009). The Extraterritorial Human Rights Obligations of States. Human Rights Law Review, Volume 9, Issue 4, 2009, Pages 521–556. [online]. Available at: https://doi.org/10.1093/hrlr/ngp028
10 Ratione loci : désigne la compétence territoriale d’une juridiction ou d’une autorité judiciaire. Cela signifie que la juridiction ou l’autorité judiciaire est compétente pour les affaires qui surviennent dans une zone géographique ou un territoire spécifique.
11 Ratione personae : désigne la compétence personnelle d’un tribunal ou d’une autorité judiciaire. Cela signifie que la juridiction ou l’autorité judiciaire est compétente pour les affaires impliquant des personnes physiques ou morales spécifiques, sur la base de facteurs tels que leur résidence, leur nationalité ou leur présence dans la juridiction territoriale de la juridiction.
12 Plaignant : une personne ou une entreprise qui dépose une plainte légale contre un autre devant un tribunal.
13 Lecture recommandée : Milanovic, M. (2011). Extraterritorial Application of Human Rights Treaties – Law, Principles, and Policy, Oxford University Press.
15 European Commission. (2014). The Fight Against Trafficking in Human Beings in EU: Promoting Legal Cooperation and Victim Protection. [pdf]. Available at: https://www.transcrime.it/wp-content/uploads/2016/01/THB_CoopToFight.pdf
16 Ibid.
17 Langer, M. (2010). The Diplomacy of Universal Jurisdiction: The Political Branchers and the Transnational Prosecution of International Crimes. The American Journal of International Law, Vol. 105, p. 1. [online]. Available at: https://ssrn.com/abstract=1661243
18 TRIAL (2023). Universal Jurisdiction: Annual Review 2022. Trial International. [pdf]. Available at: https://trialinternational.org/wp-content/uploads/2022/03/TRIAL_International_UJAR-2022.pdf
19 Norway General Civil Penal Code. Available at: https://lovdata.no/dokument/NLE/lov/2005-05-20-28
20 Schwarz, K., Allain, J. (2020). Far From Being Illegal, Slavery isn’t a Crime in 94 Countries. The Wire. [online]. Available at: https://thewire.in/labour/slavery-not-a-crime-labour
21 Traduction libre GROW de la citation originale en Anglais : “within categories, penalties seem extremely sensible, at least in the sense that the more serious harms are punished more severely. It should not surprise you, however, that the size of penalties varied greatly across agencies, in a manner that reflected politics and history more than any global concern for fairness. The fines [for serious violations] are sensible in the context of other penalties set by each agency, but they appear odd when compared to each other: you can see the absurdity only when the two cases are viewed together in a broad frame. The system of administrative penalties is coherent within agencies but incoherent globally.”
22 Kahnemann, D. (2011). Thinking, Fast and Slow. Penguin Books. p.360

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