Le 28 juin 1968, la police exécute une descente sur le Stonewall Inn, un bar gay assez populaire. Ce bar, comme la plupart des établissements qui offraient leurs services à la communauté LGBTQIA+, appartenait à la mafia. Le Stonewall Inn était, en effet, la propriété de la famille Genovese, une organisation criminelle bien connue. Dans les années 60, les descentes sur les bars LGBTQIA+ étaient fréquentes. La police arrêtait les femmes qui portaient moins de trois articles de vêtements féminins, les Drag Queens en costumes, les client.e.s sans papiers et le personnel dudit bar. Les client.e.s étaient aligné.e.s le long du bar et les policier.ère.s vérifiaient que toute personne portant des vêtements féminins était une personne assignée femme à la naissance. La police procédait ensuite aux arrestations et fermait le bar. Toutefois, cette nuit du 28 juin 1968, le bar était rempli de client.e.s. L’opération de police a rapidement déraillé de la procédure habituelle, quand ces dernier.ère.s ont tenté de s’échapper du bar et ont refusé de coopérer avec les autorités.
Dû au chaos, la police a décidé de réduire le nombre d’arrestations habituelles pour uniquement arrêter les client.e.s suspecté.e.s de ne pas porter les vêtements assignés à leur genre, et de laisser les autres s’en aller. Mais cette nuit a été différente, car les client.e.s libéré.e.s par la police ne sont pas parti.e.s immédiatement. Cela a rapidement créé une foule lésée et colérique qui s’est mis à huer la police et leur a lancé des pièces de monnaie et des bouteilles de bière en verre. Une altercation entre les forces de l’ordre et une femme a pris place, provoquant l’explosion de la foule. La police s’est barricadée à l’intérieur du bar, qui a été mis à feu par les manifestant.e.s. La police ayant totalement perdu le contrôle de la foule a fait appel à l’unité de force tactique pour arrêter un maximum de personnes et disperser la foule. Martha P. Johnson, que nous connaissons aujourd’hui comme une emblématique figure du mouvement, a mené les charges contre la police. À la fin de la nuit, les manifestant.e.s, beaucoup plus nombreux.ses que les forces de l’ordre, les ont battus en retraite.
La seconde nuit de manifestation a été beaucoup plus intense. Des personnes venant de tout New York se sont amassées autour du Stonewall Inn, attirées par la couverture médiatique des évènements dans les journaux. Les altercations avec la police ont continué pendant toute la nuit. Les jours suivants ont été une épreuve pour les manifestant.e.s, car iels avaient pour but de prendre d’assaut la rue Christopher, sur laquelle se trouve le Stonewall Inn. À la suite de ces évènements, un militantisme organisé a commencé à prendre forme, avec des réunions et des associations comme le Front de Libération Gay, créé à cette période. L’année suivante, pour commémorer les émeutes de Stonewall, la première marche des fiertés a été organisée sur la rue Christopher, mais aussi à Chicago et Los Angeles. Lors de ces événements, il y eut peu, voire aucun incident. Année après année, d’autres villes à travers le monde ont commencé à organiser leurs propres marches des fiertés.
Les émeutes de Stonewall ont lancé un large mouvement de libération pour la communauté LGBTQIA+. Ces évènements sont une fondation de son histoire. Les militant.e.s étaient majoritairement des femmes trans noires, des lesbiennes, ainsi que la jeunesse LGBTQIA+ pauvre et sans abris, qui voyaient ce bar comme leur seul refuge. Ces émeutes ont eu lieu il y a cinquante ans déjà, mais la lutte pour les droits LGBTQIA+ continue partout dans le monde. La violence envers les membres de cette communauté est encore omniprésente, et est encouragée par les institutions étatiques dans de nombreux pays.
L’égalité est encore loin d’être atteinte et l’existence même de cette communauté se traduit par des peines de prison et de mort dans certains endroits du monde. De plus, même lorsque ses droits sont en théorie protégés par la législation, la communauté LGBTQIA+ fait encore face à des discriminations quotidiennes et à de la violence. Quelques exemples parmi tant d’autres : en 2019, Julia, une femme trans française, a été harcelée et agressée par une foule pour son identité de genre ; aux États-Unis, un boulanger a refusé de servir les couples homosexuels et les personnes transgenres ; en Suisse, le taux de suicide pour la jeunesse LGBTQIA+ est 2 à 5 fois plus élevé que celui de la jeunesse cis hétérosexuelle. Les jeunes sont particulièrement vulnérables. Il faut davantage d’actions pour faire baisser ces statistiques.
Il reste beaucoup à faire. L’augmentation de la propagation de la variole du singe durant ces derniers mois nous rappelle sombrement la façon dont l’épidémie de sida avait été traitée à ses débuts. En effet, il semblerait que les autorités politiques n’aient pas retenu leur leçon, malgré le fait qu’elles aient eu un demi-siècle pour améliorer leur façon de procéder. En juillet 2022, l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que la variole du singe est devenue une Urgence de santé publique de portée internationale (USPPI). Les États ont donc un devoir légal de répondre promptement aux exigences qu’impose une USPPI. Toutefois, l’alerte donnée par l’OMS est un rappel direct du traitement politique et médiatique du sida. Effectivement, dans son communiqué, l’OMS a conseillé aux hommes homosexuels de réduire leur nombre de partenaires sexuels, malgré le fait que la variole du singe ne soit pas seulement une maladie sexuellement transmissible. En effet, elle est susceptible de toucher n’importe quelle personne, car elle se transmet au contact de la peau, des muqueuses et des lésions. La couverture médiatique et les actions publiques concernant cette maladie ne sont donc pas à la hauteur. Comme pour le sida, cette stigmatisation des hommes homosexuels, et leur désignation par les autorités de santé publique comme population cible de la maladie, contribue à la moindre qualité de la recherche et des soins proposés.
Le sida (syndrome d’immunodéficience acquise) est acquis par contamination du VIH (virus d’immunodéficience humaine) entraînant un affaiblissement du système immunitaire qui peine à se défendre contre les maladies. Contrairement à la variole du singe, cette maladie se transmet à travers le sang et lors de rapports sexuels non-protégés . Le sida avait d’abord été ignoré par les politiques de santé publique, car la plupart des malades étaient des hommes homosexuels. En effet, à ses débuts, l’épidémie du sida avait été immédiatement catégorisée comme une maladie ne touchant que les homosexuels, et les personnes partageant des seringues. Néanmoins, la maladie s’était rapidement généralisée à toute la population pour finir par devenir une véritable épidémie. La variole du singe, elle, peut au contraire se transmettre à travers l’air, le contact de la peau et le contact rapproché avec une personne infectée. Ces dernières semaines, plusieurs témoignages d’hommes homosexuels infectés par la maladie ont fait surface, avec comme point commun le manque de ressources des hôpitaux et la méconnaissance de la pathologie. Le sida, lui aussi, a fait l’objet d’une campagne médiatique stigmatisant les hommes homosexuels, ce qui a mené le reste de la population à se comporter de manière insouciante. Le résultat de ce mépris à l’égard des hommes homosexuels est le suivant : le sida est toujours d’actualité, et demeure un problème majeur dans beaucoup de pays dans le monde.
Nous ne sommes toujours pas sortis de la pandémie de Covid-19, qui a gravement impacté le monde entier. À ses débuts, les autorités sanitaires n’ont pas été réactives, ce qui a mené à des drames catastrophiques, comme les pics de mortalité en Italie en 2020. Tout ceci aurait peut-être pu être atténué si davantage d’espace avait été laissé pour les scientifiques, et si les autorités politiques avaient été plus rapides dans la mise en place de politiques adéquates. Nous sommes maintenant encore au début de la propagation mondiale de la variole du singe, et nous nous devons d’agir rapidement et efficacement. La stigmatisation de toute une partie de la population ne sera qu’un obstacle dans la lutte contre la propagation de cette maladie puisqu’elle pousse d’une part les populations à ignorer le danger et à ne pas prendre de précautions, ce qui accélère la propagation de la variole du singe. D’autre part, elle n’encourage pas les instituts de recherches, qui dans de nombreux pays manquent de moyens financiers et matériels, à entreprendre de trouver un traitement efficace et le moins contraignant possible.
Nous ne pouvons nous permettre que la variole du singe ait le même traitement politique et médiatique que le sida, en la labellisant comme une maladie ne concernant que les LGBTQIA+, et plus particulièrement les hommes homosexuels. Ce raisonnement et cette stigmatisation sont les raisons pour lesquelles le sida persiste aujourd’hui dans le monde. Nous devons apprendre du passé, et adopter une posture plus réactive face à la propagation rapide et l’étendue mondiale de ce virus. Le chemin pour la liberté totale de la communauté LGBTQIA+ dans le monde est encore long, et des évènements comme les émeutes de Stonewall sont une source d’inspiration pour continuer la lutte et réagir aux nouveaux défis.
Photo by Marlena Sloss via The Washington Post, Getty Image, 2022